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« Sobriété, autonomie, travail, démétropolisation... quelle société heureuse veut-on construire face aux crises ? »


Comment rendre aujourd’hui désirables la perspective de la sobriété ou de la décroissance pour entraîner le plus grand nombre ? Comment construire un avenir en harmonie avec tous les êtres vivants ? Telles sont les questions qui ont occupé, pendant deux heures, les intervenant·es et les participant·es de cette conférence-débat qui marquait l’ouverture du Festival des Colibris, temps fort de la campagne Nouvelle (R) en mai dernier. Entre échanges avec la salle et temps de réflexions collectifs en sous-groupes, voici la synthèse de ces riches discussions.

Claire Desmares est élue EELV et auteure de Exode urbain. Manifeste pour une ruralité positive (Terre Vivante Éditions, 2020)

Elie Wattelet est écopyschologue et co-auteur de Reliance. Manuel de transition intérieure (Éditions Actes Sud / Colibris, 2023)


Ni survivalisme ni solutionnisme technologique, la voie de la détoxication et de l’entraide

Afin de répondre aux défis climatiques sans tomber dans le survivalisme ni dans le solutionnisme technologique – car aucun des deux ne s’attaque aux racines du problème – nous avons deux voies à suivre : la détoxication et l’entraide.

De plus, « la territorialisation des contestations est décisive » ainsi que l’affirme Baptiste Morizot. La dynamique autour des Soulèvements de la Terre nous le montre également : « elle nous libère du sentiment d’impuissance vécu à militer seulement contre des abstractions, comme le réchauffement global, et qu’elle permet de se nouer avec des choses qui sont déjà là, qui sont bien de ce monde, dont on enfin compris qu’elles étaient précieuses : un bout de forêt, une ferme, une terre irradiant de vie, des métiers, des usages, des solidarités. Ce n’est plus d’abord une idée abstraite qu’on défend, c’est un petit pan de monde dont on a réappris à voir la beauté et l’importance » (Baptiste Morizot, dans Terrestres, cité par Vincent Tardieu). La proximité permet ainsi d’aborder la question de la terre, du territoire, de ses ressources et de son histoire, et de l’interdépendance des êtres qui le peuplent. C’est par cet angle du territoire que le Mouvement Colibris appréhende l’action écologiste.

« La territorialisation des contestations [...] est décisive car elle nous libère du sentiment d’impuissance », Baptiste Morizot cité par Vincent Tardieu

Sobriété, décroissance... clarification sur les termes

La « sobriété heureuse » était le mantra de Pierre Rabhi, Depuis, la notion de sobriété a été largement reprise dans le débat public, par des acteurs qui en ont des visions divergentes. On peut distinguer deux approches principales de la sobriété : celle de Pierre Rabhi et du Mouvement Colibris qui est une vision de changement radical de paradigme, et celle défendue aujourd’hui par le gouvernement qui consiste à demander aux gens de faire des efforts sans jamais remettre en cause le système...

Elie Wattelet : « Comment nos mouvements peuvent-ils construire des réponses à nos besoins fondamentaux d’appartenance, de lien, de sens ? »

La première question posée aux intervenant·es porte sur le vocabulaire. Sobriété et décroissance : parle-t-on de la même chose ? Qu’entend-on par décroissance ? Faut-il décroître sur tout ?

Elie Wattelet rappelle, en reprenant les termes de Dominique Bourg, qu’on est dans un système « croissanciste, consumériste, productiviste » qu’il qualifie de surcroît d’ « addictogène », car il fonctionne sur nos addictions (au sucre, aux écrans, etc.) pour se maintenir. S’en libérer passe par la déconstruction de la notion de croissance.

« Parler de décroissance, ça fait peur parce que c’est subversif mais c’est le chemin qu’il faut suivre, on n’a pas le choix, on va vers la sortie du capitalisme ! » Claire Desmares

Claire Desmares quant à elle note que la récupération par le gouvernement du terme « sobriété » reprend un schéma classique de récupération. On parle d’écologie, de développement durable, maintenant de sobriété mais on ne parle pas de décroissance : « parler de décroissance, ça fait peur parce que c’est subversif ». « Mais c’est le chemin qu’il faut suivre, on n’a pas le choix, on va vers la sortie du capitalisme, on ne peut pas maintenir une consommation infinie dans un monde dont les ressources sont finies ! ». Décroissance ne signifie toutefois pas retour en arrière. D’ailleurs, « il n’y a pas de retour en arrière possible. Les espèces disparues le sont pour de bon ». Elle nous invite donc à réfléchir à ce que l’on utilise comme indicateur de croissance : la sobriété nécessite une croissance des savoirs dans l’éducation, la santé, l’agriculture, etc. mais qui n’est pas une croissance entendue comme une accumulation de valeur ajoutée.

Comment rendre la sobriété désirable ?

« De quel désir parle-t-on ? » De celui qui nous est fourni par la « colonisation d’images, de films, de grands blockbusters américains ? » s’interroge Elie Wattelet. « La consommation vient combler un vide », celui laissé par nos besoins d’appartenance, de lien, de sens, insatisfaits. Maintenant, la question c’est : « comment nos mouvements peuvent-ils construire des réponses à ces besoins fondamentaux ? », demande-t-il. Car ne nous leurrons pas : « on est tous·tes des aliéné·es du système », il n’y a pas d’un côté des mouvements pionniers, capables de se libérer, et de l’autre des masses populaires plus aliénées qui se font manipuler.

« On est tous·tes des aliéné·es du système », Elie Wattelet

D’autant plus qu’on nous fait croire qu’il n’y a pas d’alternative ajoute Claire Desmares. « Les vies alternatives sont caricaturées, folklorisées, comme l’a été celle de Pierre Rabhi ». « On nous fait croire qu’il y a un coût élevé à sortir du système. L’État, la puissance économique nous font payer toute remise en cause du système (cf la répression à Sainte-Soline, les attaques contre le RSA et le chômage) » alors qu’en réalité « le prix à payer pour rester dans ce système est tellement plus élevé (burnout, mauvaise qualité de vie, etc.) ! ».

« On nous fait croire qu’il y a un coût élevé à sortir du système, alors que le prix à payer pour y rester est tellement plus élevé ! » Claire Desmares

La question est ensuite posée aux festivalier·es, qui sont invité·es à en discuter par petits groupes. Pour rendre la sobriété désirable, la nécessité d’« incarner », de « montrer par l’exemple », de « témoigner » et d’« inspirer » par le partage d’expériences (films, livres, etc.) revient à de multiples reprises dans les réponses. Tout comme l’idée de faire vivre des « expériences immersives ». L’accent est également mis sur l’éducation comme moyen de sensibiliser mais aussi de forger un nouveau rapport à la nature et aux autres. Autres propositions : changer de vocabulaire, mettre en avant les aspects positifs des alternatives mais aussi dénoncer les méfaits du système actuel – « 50 % dénonciation, 50% proposition » résume l’un des groupes – ou encore miser sur le territoire, « donner envie aux gens de se battre pour leur territoire ».

Comment rendre la sobriété désirable ? Vous avez dix minutes.

Le territoire, c’est d’ailleurs le thème de la deuxième partie de cette conférence-débat, avec une réflexion autour de la démétropolisation.

Démétropolisation : vers un rééquilibrage territorial ville/campagne

Aujourd’hui, 80% de la population française vit dans une zone urbaine, 25 millions de français·es (38%) vivent dans des communes densément peuplées. Peut-on encore conjuguer la métropole et le bonheur humain quand les sons, les paysages et la nature ont disparu un peu partout de nos villes, et quand les coûts et les pollutions y compromettent autant le bien-être des habitants ? Que faire face à ce mal-être ? Tous partir à la campagne, dans une sorte d’« exode urbain » pour reprendre la formule du Manifeste pour une ruralité positive de Claire Desmares ?

Aujourd’hui nous avons besoin de « reterritorialisation », affirme l’élue bretonne. Nous sommes face à « des destins de territoires qui s’éteignent dans les campagnes dépeuplées » tandis que les gens s’entassent dans des métropoles surpeuplées. L’enjeu c’est de faire naître l’envie de vivre dans ces campagnes, de créer une image de la « ruralité positive ». « Ça fait des années qu’on nous dit, dans les campagnes : si tu veux réussir ta vie, casse-toi ! Aujourd’hui on veut pouvoir affirmer : si tu veux vivre à la campagne, tu peux le faire, c’est ici que ça se passe ! ».

« Ça fait des années qu’on nous dit, dans les campagnes : si tu veux réussir ta vie, casse-toi ! Aujourd’hui on veut pouvoir affirmer : c’est ici que ça se passe ! », Claire Desmares

D’autant que les métropoles sont tournées exclusivement vers la consommation, dénonce Claire Desmares. Il est quasi impossible d’avoir des interactions dans des contextes non marchands en ville : « tous les espaces de sociabilité sont des espaces de consommation ». On se retrouve au bar, au restaurant, pour une expo, on consomme. Vivre à la campagne permet de sortir de ces relations consuméristes et offre donc une « qualité relationnelle incomparable », selon elle, loin des échanges superficiels dans des « milieux bruyants et alcoolisés » qu’offre la ville. D’ailleurs, les chiffres le montrent, dans un récent sondage, 80% des Français·es déclaraient vouloir vivre à la campagne.

Une piste intéressante, selon elle, pour envisager le rééquilibrage campagnes/métropoles est l’oscillation saisonnière avancée par Alessandro Pignocchi. Partant du constat qu’on va avoir besoin de bras pour dépasser l’agriculture mécanisée – le jour où on n’aura plus de pétrole, il faudra des gens pour travailler dans les champs sinon les villes n’auront rien à manger – il propose une sorte d’exode urbain saisonnier dans lequel les citadin·es quitteraient les villes l’été pour aller travailler dans les champs avant d’y repartir l’hiver venu.

Retour en arrière, solitude, chômage, etc., les idées reçues à déconstruire pour créer le récit d’une « ruralité positive »

Il ne s’agit même pas forcément d’un choix. Aujourd’hui, « l’imaginaire de la ville comme pourvoyeuse d’emplois n’est plus vrai », affirme Claire Desmares. « L’emploi urbain précarise, les revenus ne permettent plus de faire face aux coûts de la vie en ville au quotidien et, pour beaucoup de populations précarisées, vivre en ville n’est tout simplement plus possible matériellement ».

« L’imaginaire de la ville comme pourvoyeuse d’emplois n’est plus vrai, l’emploi urbain précarise », Claire Desmares

Mais pour cela, de nombreux contre-arguments à la vie à la campagne doivent être déconstruits, estime l’élue : on souffre plus de la solitude en ville, au milieu d’une foule d’anonymes avec lesquels on entretient des rapports superficiels, qu’à la campagne où la qualité relationnelle est bien meilleure, dit-elle. De même, retour à la terre ne signifie pas retour en arrière : « il y a l’électricité partout et bientôt on aura même la fibre ! », plaisante-t-elle. On développe par ailleurs d’autres formes de relations d’entraide et de solidarité à la campagne, comme des réseaux de coopération paysanne, bref, « pleins de chantiers positifs ! » conclue-t-elle.

Une salle féconde en propositions (ici, Isabelle du groupe local Colibris Paris 15)

Au tour des participant·es maintenant de réfléchir à la question suivante : que faut-il modifier en priorité pour rendre nos villes plus vivables, plus sociales, et plus écologiques ? Les réponses sont variées et constituent presque un programme pour les prochaines municipales. Quelques points récurrents :

- Favoriser l’entraide, la coopération, en créant des espaces de sociabilité partagés non marchands (commerces collaboratifs, tiers-lieux, jardins partagés, centres sociaux, habitat participatif, salle commune, café solidaire, etc.) ;

- Des transports gratuits ;

- Débitumer, végétaliser, développer l’agriculture urbaine ;

- Rénovation énergétique ;

- Stop à la voiture, pour une ville piétonne ;

- Limiter l’agression publicitaire ;

- Supprimer les centres commerciaux.

L’articulation transition intérieure-transition extérieure

« L’articulation entre transition intérieure et transition extérieure », défend Elie Wattelet, c’est « l’articulation entre l’individuel et le collectif ». Il alerte en effet : « le but du projet néolibéral c’est l’atomisation de la société, nous faire croire que la société n’est qu’une somme d’individus » et qu’il incombe à chacun·e individuellement de faire changer le système alors qu’en réalité « on a besoin de commun », ce sont des « individus reliés ensemble » qui peuvent faire basculer le système.

« Le but du projet néolibéral c’est l’atomisation de la société, alors qu’on a besoin de commun, d’individus reliés ensemble pour basculer le système », Elie Wattelet

Elie Wattelet propose de « dépasser le dualisme transition intérieure-transition extérieure par le soin », notamment dans les milieux militants, qui sont des milieux où l’on s’épuise, en alternant les temps d’actions avec « des temps d’écoute et de repos ». Il suggère dans cette optique d’adopter la posture de « méditant-militant » tout en alertant : « il ne faut pas que la transition intérieure devienne une nouvelle injonction – je vais courir plus pour montrer que c’est important de ralentir ! – ou une nouvelle consommation ». « La transition intérieure c’est comme tout, c’est un outil et il faut constamment veiller à ce qu’il ne soit pas dévoyé », poursuit-il. D’où l’importance de s’interroger sur la notion de pouvoir : « où est le pouvoir / qui a le pouvoir ? ». Interrogé sur la question des récits, il soulève en effet un point de vigilance : « qui va les écrire ces récits ? Colibris est assez homogène culturellement, sociologiquement. Il faut aller à la rencontre d’autres collectifs, d’autres profils, non pas seulement pour penser des actions communes mais aussi pour penser le projet global ensemble ».

« La transition intérieure est un outil, et il faut constamment veiller à ce qu’il ne soit pas dévoyé »

Expérimentation sur les territoires et création de nouveaux récits

Dans la consultation organisée par le Mouvement Colibris à l’automne 2022, plusieurs obstacles sont ressortis, notamment la défiance vis-à-vis des élu·es. « Comment répondre à cette méfiance ? » demande donc Vincent Tardieu aux deux intervenant·es.

Claire Desmares insiste sur la nécessité de « retourner dans l’espace où on se bat, c’est-à-dire l’espace politique ». « Le levier politique est un levier immense » et il faut le mobiliser et pour cela l’échelle du territoire est un bon niveau pour recréer de la confiance.

« Il faut retourner dans l’espace où on se bat, l’espace politique », Claire Desmares

C’est toute l’idée de la nouvelle campagne du Mouvement Colibris, la campagne Nouvelle (R), explique Vincent Tardieu, de créer ces nouveaux récits de territoires qui basculent pour alimenter ensuite un plaidoyer national pour les prochaines échéances électorales. Avec un point d’attention : « tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut créer un nouveau récit. Il faut l’écrire oui, mais pour cela il faut d’abord l’expérimenter » et ce c’est ce que vise cette campagne. « Il y a déjà assez de récits de crises, maintenant il nous faut construire le récit du changement ».

Elie Wattelet conclue : il s’agit de « créer des possitopies, des brèches, pour qu’émergent des futurs possibles. Et si... ».

Pour le dernier temps de réflexion en sous-groupes de cette conférence-débat, les festivalier·es sont interrogé·es sur la question suivante : faut-il devenir « méditant-militant » pour favoriser l'engagement tout en gardant son âme ?

Si le concept de « méditant-militant » semble laisser les participant·es quelque peu dubitatifs·ves, il ressort de ces échanges quelques pistes telles que la nécessité de « prendre soin de soi pour prendre soin des autres », de « prendre du temps » pour « réinterroger le projet » et « vérifier qu’on est toujours en cohérence ». Il s’agit également de trouver un « équilibre » entre son engagement et son « chemin intérieur » et d’envisager la « complémentarité » entre les deux aspects pour « incarner le changement » et « sortir de la réaction (aller contre) pour aller vers l’action consciente ».


Crédit photos : Marc Dufournet, licence CC-BY-SA (au pied levé, merci Marc ;)

Pour aller plus loin

- La campagne Nouvelle (R)

- Retour sur le Festival Colibris

- L'Exode urbain. Manifeste pour une ruralité positive, de Claire Desmares, Éditions Terre Vivante, 2020.

- Reliance. Manuel de transition intérieure, de Michel Maxime Egger, Tylie Grosjean, Elie Wattelet, Éditions Actes Sud-Colibris, 2023.

- Vers la sobriété heureuse, de Pierre Rabhi, Actes Sud, 2013.

- Raviver les braises du vivant, de Baptiste Morizot, Actes Sud, 2020.

- Le Mooc Transition intérieure.

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