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« La participation citoyenne ne se décrète pas ! »


L’Atelier citoyen du Pays d’Uzès expérimente une forme de véritable démocratie locale et de participation citoyenne, en travaillant pour l’enjeu d’autonomie alimentaire du territoire. Cette assemblée citoyenne rassemble des volontaires, des personnes tirées aux sorts, des élu·es, des habitant·es, des acteurs socio-économique et des agent·es. Depuis son lancement, nous ne sommes pas parvenues à mobiliser les citoyen·nes à la hauteur de nos objectifs. Lors de la deuxième rencontre, en juin dernier, seules 21 des 40 personnes initialement attendues étaient présentes... Ce n’est pas un cas isolé, nombre d’initiatives démocratiques se trouvent confrontées à ce même problème...


D’après Myriam Bachir, politologue et spécialiste des questions de participation et de démocratie, « la participation citoyenne ne se décrète pas ! Il ne suffit pas de convoquer les citoyens pour qu’ils se mobilisent, tout comme l’arrivée de nouveaux élus ne recrée pas automatiquement de la confiance. » La représentation est critiquée, la participation est controversée et peine à mobiliser. Comment alors parvenir réunir les citoyen·nes autour de ces dispositifs démocratiques ? À travers l’expérience de l’Atelier citoyen, voici quelques éléments de réponses.

Le territoire du Pays d’Uzès fait partie des Territoires d’Expérimentations accompagnés par Le Mouvement Colibris. Dès le départ, en novembre 2021, ce sont les sujets de l’autonomie alimentaire et de la démocratie locale qui ont été choisis pour être au centre de la démarche de transition. En particulier, l’Atelier citoyen a choisi de travailler à la création d’un ETA, un espace test agricole.

C’est quoi un Espace-Test Agricole (ETA) ?

Un ETA est un espace que l’on met à disposition d’agriculteur et d’agricultrices souhaitant s’installer sur le territoire. L’objectif est de leur fournir des terres et un accompagnement technique et humain adaptés afin qu’ils puissent tester leur projet agricole dans un cadre sécurisé. Ce dispositif s’inscrit dans l’objectif de mener le territoire vers une autonomie alimentaire. Les projets agricoles sélectionnés doivent être adaptés aux particularités climatiques et environnementales du Pays d’Uzès, suivre les principes de l’agroécologie, et ne pas produire ce qui est déjà en surproduction sur le territoire.

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Les procédés démocratiques doivent nécessairement s’adapter aux réalités des citoyen·nes

Des obstacles, nous en avons repéré plusieurs. Le plus évident, c’est le temps et la disponibilité. S’investir dans l’Atelier citoyen du Pays d’Uzès, c’est s’engager à venir durant trois journées complètes dans l’année. Or, pour certain·es, s’absenter un samedi entier n’est pas chose aisée, en raison de leur métier (agricultrices, restaurateur...), ou de leurs charges de famille. Participer à cette assemblée nécessite de poser une journée de congé ou de trouver quelqu’un pour garder les enfants. Cela représente un investissement important auquel tous ne sont en capacité de répondre.

Des assemblées, telle que la Convention Citoyenne pour l’Occitanie ou celle d’Est Ensemble, ont cherché à contourner ce problème en rémunérant les personnes qui ont contribué, sur  la même base que pour un jury d’assise. C’est une solution qui favorise grandement la participation. Encore faut-il en avoir les moyens...

Deuxième obstacle : le sentiment d’illégitimité, surtout parmi les jeunes. Les personnes à l’initiative de l’Atelier citoyen ont souhaité que cinq membres de l’assemblée soient des jeunes. Représentants l’avenir dans ce territoire à la population plutôt vieillissante, il est important qu’ils prennent part aux discussions et apportent leur regard. Néanmoins, nous avons fait face à plusieurs refus de leur part parce qu’ils ne s’estimaient pas légitimes à s’exprimer dans l’assemblée.  

Cette question de la légitimité est liée à celle des compétences. S’investir  dans un projet démocratique pour faire évoluer son territoire peut représenter un vrai travail pour comprendre l’ensemble du projet et y contribuer. En effet, la question de la mise en place d’un ETA est complexe, demande beaucoup de réflexion sur des questions qui peuvent parfois être pointues, même si l’animation de l’assemblée est faite pour que toutes et tous aient les informations et connaissances nécessaires, avec l’intervention d’experts, d’élues, d’agents…

" Je n’ai jamais pensé qu’on me demandait d’être une experte. Juste quelqu’un qui peut poser des questions naïves et faire avancer les choses."

Un membre a partagé avec nous son inconfort lors du dernier Atelier citoyen : « on est un peu tiraillé entre devenir de plus en plus expert tout en étant incapable de le faire car on manque de temps et on n’est pas non plus rémunéré. Pour moi c’est un exercice assez difficile. Cela va mieux au fur et à mesure des mois mais ce n’est pas une position très confortable. » Un autre n’est pas du même avis : « Je ne suis pas particulièrement mal à l’aise, parce que je n’ai jamais eu dans l’idée qu’on me demandait d’être une experte. Juste quelqu’un qui peut éventuellement poser des questions naïves et faire avancer les choses. » 

En contrepartie de cet investissement, une vraie montée en compétence se produit. Les membres prennent connaissance du sujet, ils découvrent et expérimentent des méthodes d’animation et d’intelligence collective. « Grâce à l’intelligence collective et les formats d’animation proposés, on arrive à tout poser, et les trous, les manques se comblent. Nos propres manques et doutes disparaissent. D’ailleurs, en relisant les documents qui sont produits par les experts, on se rend compte qu’on a couvert tous les sujets. »

Une coopération entre citoyen·nes et élu·es nécessitant une confiance réciproque

D’autres facteurs expliquent nos difficultés à mobiliser les citoyen·nes, cette fois d’ordre politique. L’Atelier citoyen est décisionnaire sur les propositions adressées à la CCPU. Mais c’est cette instance qui a ensuite le pouvoir d’acter le projet ou de ne pas donner de suite. Cette position n’est pas simple pour les membres de l’assemblée qui s’investissent pleinement pour voir leur projet se réaliser… ou pas. Une membre témoigne de cette réalité : « Après chaque assemblée citoyenne, notre travail est soumis à la CCPU, à chaque fois le projet peu s’arrêter, quelle que soit notre volonté. Les décisions nous dépassent ! »

C’est pourquoi le Mouvement Colibris et Fréquence Commune ont veillé à ce que des élues et des agents du territoire montent dans le bateau, dès le lancement du projet. Ils sont eux aussi au cœur du projet et apportent leurs expertises lors des débats afin que toutes les questions techniques, politiques et financières soient intégrées dans les discussions.  

Mais cela ne dissipe pas entièrement les craintes : « jusqu’à présent les assemblées citoyennes en France n’ont pas trop réussis, malheureusement. Je trouverais important que Mr Verdier [Président de la CCPU] ouvre la dernière journée de l’assemblée, il y a un truc qui manque pour moi dans l’absence physique des élus ». Un autre membre renchérit : « ce serait un signe qui dirait : "on prend votre projet au sérieux" ». La confiance est encore bien fragile...

Les membres interrogés constatent également qu’« il y a peu de relais local pour donner à voir le projet auprès de la population ». Un manque de communication peut nuire au projet : les habitant·es n’ont tout simplement pas connaissance de son existence ! Ils n’ont donc pas pu se proposer pour y participer ni suivre l’évolution du projet. « Il n’y a pas beaucoup de communication sur la démarche, on reste dans des petits cercles », « au niveau de la CCPU, personne ne vient, pas de journalistes. » La légitimité de l’Atelier citoyen peut alors être remis en cause…

Pourtant, avec les avancées encourageantes du projet et les riches échanges lors des assemblées, le fait que la CCPU donne à voir ce qui se fait localement serait une vraie preuve de confiance et de réussite de ce beau projet démocratique !

Pour aller plus loin

- Tous les articles du programme Territoires d'Expérimentations

- "Laisser de côté les oppositions au profit de la protection du vivant"

- "Territoires d’Expérimentations : une assemblée citoyenne en Pays d’Uzès"

- "Pays d’Uzès : les habitant·es au cœur des décisions"       

- "Uzès : soutenir les agriculteur·rices pour la souveraineté alimentaire du territoire"        

- "Qu’est-ce qu’un espace-test agricole ?", par le Reneta (Réseau National des Espaces-Tests Agricoles), mai 2023.        

- "Les communes participatives, ferments d'une « transition démocratique par le bas »", entretien avec Myriam Bachir, par Hugo Soutra, dans Le courrier des maires et des élus locaux, mai 2023.

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