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6 raisons de croire que la démocratie est responsable (ou non) de la crise écologique


Accusée d'être inefficace et de ne prendre que de petites décisions face à l'urgence écologique, la démocratie était mise en accusation par le Tribunal pour les Générations Futures de l'Université des Colibris, jeudi 10 octobre 2018 à la Halle Civique. La démocratie, par son inaction et ses renoncements, peut-elle être tenue responsable de la destruction des écosystèmes et du réchauffement climatique ?



Depuis de trop nombreuses années, les effets d'annonce et les déclarations d'intention en matière de lutte contre la crise écologique se suivent et se ressemblent : nos élus sont les premiers à dire qu'il faut apporter une réponse radicale à un problème qui est unanimement jugé comme étant extrêmement grave mais les paroles ne sont généralement pas suivies par des actes, ou alors ceux-ci se limitent à quelques initiatives à l’impact limité — largement insuffisantes étant donné l'ampleur du danger.

Les hommes politiques font preuve d'une grande inertie alors qu'il aurait fallu depuis longtemps accélérer pied au plancher. Récemment, la démission de Nicolas Hulot a sonné une nouvelle fois comme un désaveu de la politique écologique de la France. Ailleurs dans le monde, les électeurs se rendent complices de programmes politiques qui ne peuvent qu'aggraver très dangereusement la situation en portant au pouvoir des dirigeants climato-sceptiques, comme c'est le cas avec Donald Trump aux  États-Unis.

Une mine de charbon à ciel ouvert, en Indonésie (crédit : Dominik Vanyi)

Pourtant, certains gouvernements prennent en ce moment même des mesures radicales et courageuses, comme la Californie qui a voté cette année un décret imposant que chaque nouveau bâtiment construit à partir de 2020 soit photovoltaïque. Ou encore le Danemark,  dont le parlement a entériné l'interdiction pure et simple des véhicules thermiques à partir de 2030. Une décision historique. Mais ces exemples sont trop rares. La démocratie, dans sa forme actuelle, doit-elle être jugée coupable de la crise écologique ?

Et si le vrai problème ne venait pas de nos dirigeants mais d'une part de nous, électeurs et citoyens, qui votons pour eux sans agir et d'autre part d'une pratique de la démocratie qui a désespérément besoin d'un nouveau souffle ? Ne faudrait-il pas, dès lors, faire une mise à jour de la démocratie pour revenir à son esprit d'origine qui donne un pouvoir important aux citoyens et nous réapproprier un pouvoir de décision que nous déléguons depuis trop longtemps ?

La faillite de la démocratie représentative

 1/ Des décisions à court terme

Les élus, quel que soit le niveau de responsabilité que nous leur avons octroyé par le biais des urnes, sont, en tant que professionnels de la politique, influencés par les échéances électorales et restreints par la durée de leur mandat.  Deux éléments qui favorisent inévitablement une vision court-termiste des problèmes. Ce schéma politique semble avoir atteint ses limites. C'est une vision sur la durée qui est nécessaire aujourd'hui pour traiter les principaux problèmes climatiques. Le temps long de la nature ne coïncide pas avec le temps court de l'action politique.

2/ Un système fait de renoncements ?

 En choisissant de ne pas interférer dans l'économie de marché, et en faisant le jeu du libéralisme et du capitalisme, la démocratie laisse le champ libre aux multinationales pour agir comme bon leur semble. La procureur Quitterie de Villepin rappelle que « les multinationales ont misé contre les générations futures. Elles sont responsables des multiples dérives qui concourent à la crise actuelle : prédation de nos écosystèmes, scandales humanitaires, sanitaires et alimentaires, exploitation des plus faibles, évasion fiscale pour ne pas citer toute la liste... » 

« La transition démocratique est essentielle à la transition écologique. Le monde est de plus en plus complexe et le pouvoir pyramidal n'arrive plus à gérer efficacement cette complexité »

Force est de constater que les démocraties représentatives ne sont pas en mesure d'apporter une réponse à ces fléaux, ni de contraindre les multinationales à mettre un terme à leurs agissements. Pire encore, l'action néfaste des lobbys et des groupes d'intérêts vient encore compliquer l'action des hommes politiques. Le récent vote, à l'Assemblée Nationale, contre l'interdiction du glyphosate, est symptomatique de cet état de fait, alors même que de très nombreuses études ont démontré la dangerosité de ce produit.

3/ Un pouvoir sous influence

Comme si tout cela ne suffisait pas, le pouvoir démocratique voit son champ d'action corseté par de nombreux traités internationaux. Nos dirigeants ne disposent même plus de la possibilité de prendre toutes les décisions qu'ils voudraient. De même, la dette publique, qui s'élève pour la France à plus de 2000 milliards d'euros, freine les initiatives pour financer la transition écologique. Appelée à la barre, Mathilde Imer, militante écologiste et négociatrice dans l'équipe de Laurent Fabius lors de la COP21, rappelle que « la transition démocratique est essentielle à la transition écologique. Le monde est de plus en plus complexe et le pouvoir pyramidal n'arrive plus à gérer efficacement cette complexité. »

Une ferme solaire au Japon (crédit : Mark Merner)

Parce que la crise écologique est une menace qui pèse sur l'ensemble des citoyens, ne faudrait-il pas repenser la façon dont les décisions qui nous concernent tous et toutes sont prises ? Ne plus laisser les hommes politiques décider seuls en inventant une nouvelle façon de faire vivre la démocratie, plus directe et plus collective, apparaît comme une bonne solution pour sortir de l'immobilisme et prendre enfin les mesures qui s'imposent.

 Réinventer la démocratie

 1/ Rendre le pouvoir aux citoyens

Mais la démocratie doit-elle nécessairement rimer avec élections ? À l'heure d'internet et des réseaux sociaux, chacun d'entre nous peut facilement prendre la parole et participer au débat citoyen. Pourtant, les décisions importantes restent entre les mains d'un petit nombre de personnes.

Appelée à la barre, Camille Dantec, militante, chercheuse pour l'association Les voies de la démocratie et chargée de mission au sein du budget participatif de la Ville de Paris, souligne que « l'on peut faire de la démocratie en dehors des organes et des institutions. En Belgique par exemple, alors que le pays n'avait plus de gouvernement, les gens se sont réunis entre eux et ont délibéré pour prendre des décisions de politiques publiques. Il n'est pas nécessaire d'avoir la science infuse pour participer au débat public. » En repensant la démocratie, on pourrait l'inscrire partout dans la Cité. Dans sa forme participative, elle peut s'appuyer sur la capacité de chacun d'entre nous à prendre des décisions. Ce système fonctionne déjà à l'échelle locale.

2/ Créer un cadre collectif

Quand on parle de démocratie, de quoi parle-t-on exactement ? On parle de procédures qui permettent à un petit nombre de personnes de représenter et de prendre des décisions pour le plus grand nombre. Si les procédures actuelles ne fonctionnent pas bien, qu'est ce qui empêche en définitive les citoyens de les changer ?

« Il pourrait être tentant de croire que tous les citoyens sont des êtres responsables, positifs, bien formés, qui ont le souci de l'autre et qui consacrent leur temps à l'intérêt général. Ce n'est pas le cas »

Appelé à la barre, Sylvain Lapoix, data journaliste et co-auteur du programme #datagueule, rappelle que « la démocratie est quelque chose qui s'apprend. La culture démocratique est nécessaire pour que les citoyens puissent prendre part aux décisions qui les concernent. Si on crée un cadre adéquat, on peut facilement faire de la démocratie collective. » Sortir d'un fonctionnement représentatif se résume donc à redéfinir le cadre dans lequel la démocratie s'exerce.

3/ Peut-on vraiment tous décider ?

Aujourd'hui, force est de constater que la démocratie représentative est dans l'impasse. Redonner au plus grand nombre le pouvoir de prendre part aux grandes décisions collectives pourrait permettre de sortir du court-termisme, du clientélisme, des conflits d'intérêt et des blocages politiques institutionnels. Néanmoins, l'exercice de la démocratie participative à l'échelle d'un pays reste un défi à relever.

Des citoyens votent à main levée dans un gymnase (crédit : Edwin Andrade)

Comme le rappelle l'avocat général Armel Le Coz, « il pourrait être tentant de croire que tous les citoyens sont des êtres responsables, positifs, bien formés, qui ont le souci de l'autre et qui consacrent leur temps à l'intérêt général, au bien commun et aux enjeux environnementaux et que nous partageons tous des valeurs humanistes. Ce n'est pas le cas. » Néanmoins, face à l'urgence écologique, réformer la démocratie s'avère absolument nécessaire pour que les citoyens puissent prendre en connaissance de cause les décisions qui les concernent.

À l’issue des délibérations, les 5 membres du jury, préalablement tirés au sort dans le public en début de séance, ont désigné à trois voix contre deux la démocratie comme coupable de la crise écologique, non sans préciser que c'était à chacun d'entre nous d'en tirer les conséquences et de commencer à agir sans attendre que les élus le fassent pour nous. Chaque citoyen peut en effet avoir un rôle à jouer pour faire évoluer le fonctionnement de notre système de gouvernance.

Pour permettre aux citoyens d’approfondir leur connaissance de notre démocratie, de mieux connaître ses réussites et ses échecs, et de découvrir les nombreuses innovations qui existent aujourd'hui aux quatre coins du territoire, l'Université des Colibris a  créé le MOOC "Quelle démocratie pour demain ?", ouvert à tous ceux et toutes celles qui souhaitent réfléchir aux enjeux de la démocratie. 


Crédit photo chapô : Vlad Tchompaloy

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