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Notre-Dame-des-Landes : que la Ferme des 100 Noms ne devienne pas celle des sans noms !


Journaliste spécialisé en agriculture et écologie, Vincent Tardieu a écrit plusieurs ouvrages sur ces sujets. Vivant en pleine garrigue dans l’Hérault, il a participé à la création de différents mouvements pour favoriser le dialogue entre acteurs du territoire. Il a rejoint le mouvement Colibris où il coordonne le pôle Inspirer, en charge des publications et des débats. 



De quelles violences l’évacuation policière de Notre-Dame-des-Landes est-elle le nom ? Hier, ils y ont détruit la Ferme des 100 Noms : tout un symbole pour ce gouvernement au comportement autoritaire. En fera-t-il demain la ferme des sans noms ? Celle des 1000 vaches ? Je veux croire que des milliers de citoyens l’empêcheront.

Oui, il y a des violences physiques autour des barricades de fortune érigées sur cette départementale boueuse. Des destructions aussi, d’habitats précaires, de jardins maraîchers et d’animaux, au cours de l’évacuation musclée de la ZAD (devenue la Zone à défendre). Je les déplore toutes, elles me font horreur. Aujourd’hui, il y a une autre violence qui m’est plus insupportable encore : la mise au silence, l’effacement méthodique par ce gouvernement et ses services départementaux de quinze années d’expérimentations sociales et politiques autour des squats de NDDL, notamment celui de la Ferme des 100 Noms. Par cette hachure rageuse portée sur la carte, l’État vient de faire voler en éclats le fragile processus de dialogue, de régularisation, entamé sur le terrain depuis l’arrêt du projet d’aéroport. Elle fait craindre les pires dérapages. Il est urgent de sortir de cette spirale de violence pour que tous les acteurs puissent reprendre, en confiance, le chemin de la table ronde. Je rêve ?

“ Aujourd’hui, il y a une autre violence plus insupportable encore : la mise au silence de quinze années d’expérimentation sociale et politique”

Je ne connais pas (tous) les milliers de femmes et d’hommes qui s’opposent depuis cinquante ans à l’aéroport de NDDL, les habitants de la ZAD, les courants qui les traversent. Je n’adhère pas à tous leurs discours et ne partage pas toutes leurs aspirations. Pourtant, il y a une valeur commune qui m’est chère, et pour laquelle je suis plein de gratitude à l’égard des diverses tribus du bocage nantais : celle de croire en la coopération humaine et en l’intelligence collective. Celle de vouloir avec une belle opiniâtreté expérimenter une autre voie, en matière de productions alimentaires et de modes de vie, en harmonie avec les ressources du terroir, des valeurs de solidarité et des besoins humains requestionnés.

L’agriculture en collectif, entre tradition séculaire et droit inscrit dans la loi

J’entends Nicole Klein, préfète de Loire-Atlantique, affirmer mardi dernier, pour justifier cette injonction au silence et à l’oubli que « Les 100 Noms n’ont pas déposé de projet agricole ». Je comprends : ils n’ont déposé « aucun projet individuel » d’agriculteurs. Seulement, une dizaine de projets collectifs de la zone lui a été adressée, ce que le gouvernement refuse d’examiner. Or, comme le dénonçait ce même jour Willen, éleveur de vaches laitières en Bio dans le squat des 100 Noms, « s’il n’y a plus de collectif dans le secteur agricole, et bien on aura ce qui se passe dans la plupart des campagnes : l’individualisme, le chacun pour soi, manger la ferme de son voisin ! Être toujours plus seul dans une ferme toujours plus grande… »

Alors, ce gouvernement entend-il dissoudre toute forme de travail agricole collectif ? Foutaise ! Ce serait oublier que c’est une tradition séculaire dans les campagnes. Prenez seulement les Banques du Travail créées au milieu des années 1960 : des paysans modestes mutualisent alors leurs matériels, passent des commandes ensemble de semences et de produits, se donnent des coups de main et vont jusqu’à se remplacer dans les fermes en cas de maladies ! Voilà les ancêtres des 12 260 CUMA1 actuelles, ces coopératives où les paysans acquièrent ou louent tout ou partie de leurs équipements, et même parfois travaillent en commun certaines terres. Ce serait oublier aussi qu’il existe quelques 6 000 GAEC2, où des agriculteurs, aux fonctions et tâches parfois différentes, se sont associés au sein d’une même ferme. Cela menacerait de même les 477 GIEE3, créés par le ministre Stéphane Le Foll sortant, qui permettent d’associer autour d’un même projet agroécologique des producteurs, mais aussi des transformateurs, des collectivités, voire de associations. Et je ne parle pas des dizaines d’associations d’entraide ou de réflexion, comme les CETA ou les Civam4, ou les centaines d’entreprises « coopératives agricoles », qui n’ont souvent de coopératives plus que le nom !

Ces coopérations qui remettent en question le système

Non, la coopération agricole officielle n’est pas morte. En réalité, ce gouvernement semble vouloir trier les bonnes et les mauvaises graines : les formes de coopération qui optimisent avant tout la production par rapport à celles qui favorisent d’abord l’esprit collectif. L’une ne remet pas en cause le modèle dominant des formes de travail en agriculture, l’autre tend à le menacer. L’une est légale, l’autre pas forcément. Et le cauchemar pour nos gouvernants est bien celui de transformer la ZAD en un nouveau Larzac… C’est-à-dire d’ouvrir une nouvelle brèche dans les formes de propriété foncière agricole et les pratiques dominantes. 

“La coopération que l’on menace est celle portée par des citoyens qui se battent moins pour tirer profit des ressources du bocage que faire profiter la communauté créée sur place.”

Il m’est insupportable qu’aujourd’hui à NDDL la coopération que l’on menace soit celle portée par des citoyens, agriculteurs aguerris pour partie, apprentis paysans pour les autres, la plupart sans droit ni titre. Eux, me dis-je, se battent moins pour tirer profit des ressources du bocage que faire profiter la communauté créée sur place. Je veux y croire.

La coopération que je sens menacée est celle qui n’entre pas dans les cases des institutions agricole, bancaire, foncière, juridique… Celle qui prône des structures juridiques basées sur l’usage des terres plutôt que sur la propriété individuelle. Toute chose dont la chambre d’agriculture de Loire-Atlantique, qui a repris la main sur le foncier à NDDL grâce au département, se méfie : toutes ces formes d’installation sans acquisition propre, hybrides, confuses, par des pluriactifs, des cotisants solidaires, des personnes au RSA ou, pire, par des « sans statut ». Sans formation ni diplôme adaptés non plus, sans projet de production et d’investissement financier consistant pour être éligible au statut d’agriculteur. Et je découvre d’ailleurs  que les conventions d'occupation précaire proposées aux zadistes par les services de l’État ne peuvent être signées que par des agriculteurs au statut reconnu… Ce qui favorise la trentaine d'exploitations couvrant 80 % des terres agricoles du site – certains d’entre eux ont déjà annoncé vouloir s’agrandir. 

Pour la liberté de rêver et d’expérimenter

Alors, délirant, cette aspiration à l’expérimentation et la pluriactivité défendues par les zadistes ? Sur quelle surface cela porte-t-il au juste, 350 hectares, 500 ha au maximum ? Allons donc, la crise agricole qui frappe férocement le monde agricole partout en France devrait pousser les institutions de la profession elles-mêmes à les mettre en œuvre ! Et puis, je me rappelle de cette enquête réalisée à l’échelle nationale5 qui indiquait que sur les quelque 6 000 jeunes qui s’installent chaque année en agriculture en France, toutes filières confondues, un tiers le font en pluriactivité. Des marginaux, ces 2 000 jeunes ? À d’autres ! Et que signifie donc être en pluriactivité ? En gros, exercer une activité complémentaire à sa production principale : d’autres productions, divers travaux, parfois non agricoles, des activités de transformation, d’accueil, culturelles, sociales, etc. 

“Ces nouvelles pratiques agricoles apportent des dynamiques précieuses dans des territoires ruraux désertés et permettent l’insertion de bon nombre de personnes”

Si ces nouvelles formes d’installation, de diversité des structures juridiques et des pratiques agricoles m’intéressent, c’est qu’elles transforment – et enrichissent – radicalement le métier d’agriculteur. Elles correspondent, en outre, au profil de nombreux porteurs de projet actuels. Ceux, notamment, que l’on appelle les « hors cadres familiaux » (non issus du secteur agricole). Elles apportent, je l’ai repéré dans de nombreux territoires ruraux, des dynamiques socio-économiques précieuses : de nouvelles activités et productions, des besoins de services divers, des reprises de fermes qui peinent à être transmises, des installations de familles dans des zones peu développées ou peu propices aux cultures et élevages intensifs, des réouvertures de milieux naturels qui se referment et s’appauvrissent faute d’agriculteurs et de bergers… Elles permettent enfin la (ré)insertion de nombreuses personnes. En particulier ces milliers d’invisibles qui échappent aujourd’hui au radar d’à peu près toutes les institutions et services publics, et pourraient demain contribuer aux biens communs et faire à nouveau « société ». Bref, ces nouvelles formes d’installation redonnent un peu d’humanité, de respiration, de chance de mieux vivre ensemble avec nos différences dans une plus grande diversité de territoires, au sein d’une société qu’on tend ici à racornir et uniformiser. Une espérance ! Qui se sent menacé par cette transformation des métiers agricoles ? J’aimerais bien le savoir, et en connaître les raisons.

“Aujourd’hui, les zadistes, cible médiatique facile. Mais demain ? Qui nous dit que ça ne sera pas les oasis, que nous soutenons à Colibris ?”

Voilà ce qui me met aujourd’hui en pétard : c’est cette négation des utopies, même farfelues, cet étouffement des énergies, des élans humanistes, qui émanent de cette zone en jachère sociale. C’est de voir ce lent cheminement collectif pour un autre demain, complexe, tortueux, incertain, être balayé d’un tir de lacrymo.

Et que l’on ne s’y trompe pas : aujourd’hui, l’injonction à rentrer sous terre s’adresse aux zadistes, cible médiatique facile – pensez, ce sont d’éternels anars, squatteurs immuables, certainement violents ! Demain la menace pourrait porter sur d’autres espaces d’expérimentation sociale et politique en France, de nature agricole ou pas. Également sur des formes de vie en collectif, comme les oasis que nous soutenons à Colibris, des lieux ressources ou des habitats groupés – lesquels se réalisent dans le cadre des Plan Locaux d'Urbanisme et de diverses lois récentes comme la loi ALUR ? Je l’ignore. Je sens pourtant confusément qu’en menaçant aujourd’hui ce droit à réinventer la vie au fin fond du bocage nantais, on porte atteinte à ma liberté dans ma garrigue héraultaise, à mon espérance. Et finalement à ma zone d’aspirations à défendre… 


POUR ALLER + LOIN

Pétition "Cent noms pour une Zone d’Agriculture Durable à Notre-Dame-des-Landes", initiée par Les Invités de Médiapart


Crédits photos

- Fermes d'Avenir
- Patrick Lazic


  1. Les Coopératives d'Utilisation de Matériel Agricole regroupent en France métropolitaine quelques 212 000 adhérents – 1 agriculteur sur 2 !
  2. Créées en 1962, les Groupements Agricoles d'Exploitation en commun constituent une forme de société civile.
  3. Au 31 janvier 2018, la France compte 477 Groupements d’Intérêt Économique et Environnemental, regroupant environ 7 500 exploitations et 9 000 agriculteurs.
  4. Centre d’Études Techniques Agricoles et Centres d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural. 
  5. Brochure Coopération agricole de production, FNCUMA, décembre 2012. 

Commentaires

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Vous ne publiez que les articles qui vont dans le même sens, il n'y a pas de débat ni de réflexion possible. Humaniste je le suis, résolument pour des projets agricoles pertinents, mais prudence avec l'opportunisme que vous nommez diversité ! il existe des règles d'installation agricole depuis longtemps, elles doivent s'appliquer à tous! C'est une question d'égalité.

Seule la peur peut justifier de telles démonstrations de force et de violence disproportionnées. Peur de dialoguer, peur de faire confiance à l'initiative collective, pilier de l'évolution et de la pérennité des sociétés, peur d'entreprendre, peur d'expérimenter, peur de bousculer les pouvoirs et les petits conforts individuels de quelques seigneurie locale ou multinationale, peur de remettre en question une culture et des droits fonciers moyenâgeux. Une peur qui ne fait qu'accélérer la déprise agricole et la destruction des ressources au lieu de s'appuyer sur les expériences acquises à NDDL pour réinventer le futur avec des modèles beaucoup plus adaptés aux nouveaux enjeux. Encore une occasion ratée. Quel dommage.

Je reviens pour me souvenir...
d'un triste souvenir, la zone humide du "testet" dans la foret de Sivens qui fut détruite sauvagement dans le Tarn. Avec un mort à la clé, celle de Rémy Fraisse.
J'y habitais pas loin cette année là, et la violence fut d'autant plus violente, choquante, démesurée...avec des ordres préfectoraux lamentablement cadrés de toute pièce... Jamais 2 sans 3 ? La France une démocratie citoyenne ? Reculer pour mieux sauter ? A suivre avec grande prudence...

Combien je suis d'accord avec ton texte ! Deux ans et demi que je suis en conflit avec le maire et son conseil municipal bornés ( village de Cause de clérans 24150 ) !
J'avais le projet de créer un écolieu sur mon propre terrain, lieu de vie et d'expérimentation écologique , utopie réaliste comme le disait le commandant Cousteau, qui m'a été interdit. J'ai refusé d'enlever une caravane qui sert d'abri à un ami ayant de faibles ressources quand il vient faire son jardin.
J'ai été convoqué à la gendarmerie, fiché comme un vulgaire délinquant, et fin juin 2018 je suis convoqué devant le tribunal correctionnel de Bergerac.
Ma colère et ma révolte sont immenses.
Christian

Cher Christian, Mon terrain, deux hectares, une ruine restaurée, un projet écolo, un maire borné, des gendarmes, et une comparution en correctionnelle reportée pour cause de grève.
Et nous sommes des milliers à ne pas "rentrer dans le moule" d'une société qui écarte systématiquement tout projet de vie "hors normes".
Bon courage.

La propriété privée est un droit inviolable et sacré comme écrit dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyens. On doit tous respecter cette déclaration et après on peut seulement discuter. La loi n'est pas le fait des squatteurs. À méditer pour les hors la loi.

Je te remercie pour ton texte Vincent! J'apprécie ta Vision claire, large, profonde et nourrissante.
Je formule le voeu que ton texte attérisse sur la table de chevet de chacun.e...comme support d'inspiration...

Le coup porté à la ZAD et aux Zadistes atteint le coeur de nombre d'entre nous en Métropole et ailleurs... L'État ne supporte pas (en particulier fiscalement) les expérimentations sociales hors des sentiers battus.
Mais ne désespérons pas. La ZAD sera reconstruite et elle fera des petits !
Soyons vigilants, car tout mouvement social, écologique, de grande ampleur se verra freiné, voire combattu par l'État. Oasis, Tiny Houses,... Il nous faut et faudra être fidèles à notre "projet de société" et solidaires... Le nombre, le nombre... Car, le capitalisme espère diviser chaque cellule de solidarité (familles, villages, oasis, quartiers, villes, départements, etc...) pour oeuvrer sans frein. SOLIDARITÉ !

Un texte bien écrit, merci pour cette vision !!

En espérant que des élus (région ou locaux) lisent votre article !
merci M Tardieu.

Non,
il est urgent de considérer que dans un Etat de Droit, ce sont d'abord les règles de la république qui s'appliquent; ce sont elles qu'il faut défendre envers et contre tout, car elles sont les fondements de notre démocratie. Elles donnent des droits à tous, mais aussi des devoirs. Le premier est de respecter la Liberté qui n'existe que lorsqu'elle respecte celle de tous. Chacun est libre de faire ce qui lui plait sur sa terre, mais pas de le faire sur la terre d'autrui.
Quel dommage de confondre l'esprit et les valeurs des Colibris, comme instrument de lutte politique, comme certains l'ont fait avec l'écologie.

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