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L’eau dans l’agglomération parisienne #2

Une crise générale de la gestion de l’eau


Une première version est parue dans la revue AMAN IWAN, n°2, Mai 2017.


Parce que la canicule et le déficit de très nombreuses nappes phréatiques en France cet été nous rappelle que l’eau est un bien commun précieux et menacé, nous vous proposons un ensemble sur le sujet. Premier volet : la gestion de l’eau à Paris, en quatre articles.

Maxime Algis est architecte. Il fait partie de l’association Aman Iwan qui propose une plateforme transdisciplinaire et collaborative. Grâce à l’édition, l’architecture et la construction, Aman Iwan cherche à construire une lecture critique des rapports qui s’établissent entre des territoires, les populations qui les habitent ou les traversent, et les pouvoirs qui s’y exercent. C’est dans ce cadre qu’il s’est penché sur la question de l’eau dans l’agglomération parisienne. Pour tenter de révéler la complexité et l’opacité de son réseau technique, comme les alternatives écologiques et citoyennes qui se dessinent...


Dans la métropole parisienne le réseau de gestion de l’eau peut être défini comme un « ensemble d’équipements interconnectés, planifiés et gérés de manière centralisée à une échelle tantôt locale tantôt plus large et offrant un service plus ou moins homogène sur un territoire donné qu’il contribue ainsi à solidariser » [1]. Or ce mode de gestion de l’eau n’a rien de neutre : il constitue un modèle qui n’est pas seulement technique mais aussi social et politique.

La continuité des flux malgré la discontinuité des besoins

Le réseau est d’abord fondé sur deux principes : l'étanchéité totale et la circulation continue des flux. C'est la continuité de la circulation de l’eau qui permet en effet de maintenir la pression dans le réseau (pour l’adduction), d’empêcher la dégradation de la qualité par la stagnation, ou d’éviter le dépôt de matières dans les conduits (pour l’évacuation). Il est évident que ce modèle de flux continu est en permanence confronté aux discontinuités qui du territoire et des usages : fluctuation de la consommation selon les horaires, différences de pression ou de vitesses d’écoulement liées à la topographie du réseau, répartition inégale des densités de population…


La croissance perpétuelle du réseau comme condition de sa survie

La solution trouvée pour maintenir ce flux constant malgré les irrégularités de la demande est l'extension du réseau lui-même. En effet, son financement est indexé sur la consommation des usagers : c’est le principe de « l’eau paye l’eau », la facture d’eau finance le réseau. Dès lors, les recettes augmentent à mesure que le réseau s’élargit, c’est-à-dire qu’il intègre de nouveaux consommateurs. Cet élargissement permet de nouveaux investissements dans des infrastructures qui, en se sophistiquant, absorbent les obstacles au développement du réseau par une augmentation de ses performances techniques.

 

Ce principe de circulation continue des fluides s'associe donc à un modèle économique de croissance continue : le modèle du réseau est lié aux mécanismes d'économie d'échelle qui consiste à amortir les coûts fixes d’installation et d’entretien du réseau par un accroissement de la production et donc simultanément du nombre de consommateurs. Il est aussi rendu possible par l'effet de club [2] : les performances du service croissent à mesure que croît sa taille.

Un réseau construit au service de l’égalité et de la santé publique

Ce dispositif technique et économique a été imaginé dans le cadre de politiques progressistes ambitieuses. D’un côté, les collectivités souhaitaient développer le réseau en vue d’une couverture « universelle » et d’une gestion homogène, et donc égalitaire, du territoire. De l’autre, sa mise en place tendait à résoudre les enjeux hygiénistes liés à l’insalubrité des espaces urbains de même que les réseaux d'électricité et de transports ont permis de résoudre des besoins d’approvisionnement énergétiques ou alimentaires. Le développement des grands réseaux est alors consubstantiel à la consolidation d'États-nation centralisés et puissants [3] et de leur composante sociale, l'État-providence.

 

La baisse généralisée de la demande met ce modèle en crise

 Cependant, ce modèle se trouve aujourd’hui en crise. Une crise invisible mais aussi inextricablement liée à notre vie quotidienne que l’est le réseau en lui-même. Pensé pour augmenter sans cesse les quantités d’eau captées et les distribuer à un nombre croissant d’usagers, pensé aussi pour être financé à hauteur de cette consommation croissante, le réseau tel qu’il existe ne pourra pas survivre à une tendance qui ne cesse de s’affirmer depuis plus de 20 ans : la baisse de la consommation [5]. Aussi surprenante qu'elle paraisse, celle-ci s’explique par plusieurs facteurs. D’une part, une plus grande sensibilisation des usagers qui réduisent consciemment leur consommation, partout en Europe, grâce à des pratiques plus sobres . De l’autre, l’amélioration de l’équipement électroménager, moins consommateur d’eau. Enfin, on observe dans de nombreuses villes une baisse de population et de la consommation industrielle liée à la tertiarisation de l’économie [6]. Ce nouveau paradigme « décroissant » concerne la plupart des villes européennes et d’Amérique du nord, et s’étend aux autres réseaux comme la distribution d’énergie. Il constitue une « donnée d’autant plus structurelle qu’elle est parfois devenue un objectif des politiques publiques, comme en témoignent les différents projets de loi sur la sobriété énergétique » [7].

En résulte un « effet ciseau ». Celui-ci se définit par le croisement de recettes en baisse dues à la baisse de la consommation et du maintien ou de la hausse des coûts d’entretien, de potabilisation et d’assainissement. Cette faillite de l’équilibre économique du réseau met en danger sa capacité à se maintenir et conditionne une véritable « vulnérabilité infrastructurelle » [8].

Le réseau s’est perpétué jusqu’à aujourd’hui grâce  la « conquête » perpétuelle de nouveaux territoires et le perfectionnement technologique. Il apparaît cependant clair qu’il ne pourra plus compter à terme sur cette traditionnelle « fuite en avant ». Et ce, malgré le fait que la crise qu’il traverse fonctionne par dégradation lente, dissimulée par les ajustements progressifs des opérateurs.  Faut-il dès lors repenser le modèle économique de l’eau dans son intégralité ?

 

Lire la suite :

L’eau dans l’agglomération parisienne #3 : Restaurer une gestion démocratique de l'eau

L’eau dans l’agglomération parisienne #4 : Imaginer un modèle décroissant


Relire : 

L’eau dans l’agglomération parisienne #1 : Une eau omniprésente mais invisite



Crédit photos : Maxime Algis


  1. O. Coutard : « Services urbains, la fin des grands réseaux ? » in Ecologies Urbaines, 2010.
  2. Effet de club ou effet de réseau : mécanisme par lequel le bon fonctionnement et donc l’utilité réelle d’une technologie dépend de la quantité de ses utilisateurs.
  3. R. Mayntz (edited with Thomas P. Hughes): The Development of Large Technical Systems, 1988.
  4.  Coutard et Rutherford, Les réseaux transformés par leurs marges : développement et ambivalences des techniques « décentralisées », 2009
  5.  La consommation d’eau à Paris entre 1991 et 2001 a baissé de 16,7% (source  : Credoc, 2005) sur le même laps de temps et en raison de cette baisse de consommation, les prix de l’eau ont augmenté de 50%. c.f : M. Montginoul , « La consommation d'eau en France : historique, tendances contemporaines, déterminants », Sciences Eaux & Territoires, 1/2013 (Numéro 10), p. 68-73.
  6.  Barraqué, Isnard,  Montginoul, Rinaudo, Souriau, "Baisse des consommations d’eau potable et développement durable", Responsabilité et Environnement, vol. 63, p. 102-108, 2011.
  7.  D. Florentin, "Les nouveaux modèles économiques et territoriaux des firmes locales d’infrastructure face à la diminution de la consommation", Sciences de l’environnement, 2015.

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