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De l'art du déchet


Esteban Richard, Totem, 2016, Plastiques recyclés

Être messager de la cause environnementale en usant de son art : c’est le thème abordé par une conférence tenue à Paris à la Maison des Économies solidaires et innovantes le 18 avril 2019. Organisé en collaboration avec Marguerite Courtel, membre de Women4Climate, Les Canaux et Creature, cet évènement marque l'intérêt grandissant de la thématique du réemploi au sein de la création artistique et auprès du grand public. Tour d’horizon du travail de trois artistes qui puisent leur inspiration et leur matière au cœur même de nos poubelles...


Quelles réponses apportent les artistes et les institutions culturelles aux enjeux d’économie circulaire ? Pour tenter d’y répondre, les trois artistes Esteban Richard, Pascale Peyret et William Amor ont présenté leur travail et témoigné des enjeux de leur engagement artistique. Des réflexions inspirantes qui ont permis d’alimenter le dialogue sur ces grandes questions sociétales.

"Art et économie circulaire", la conférence tenue à Paris le 18 avril 2019


“Je veux réaliser un travail de sensibilisation grâce auquel les gens peuvent se sentir concernés.” 

Originaire de Belle-Île-en-Mer et installé à Brest, Esteban Richard est artiste plasticien défenseur des fond marins. Ses différents projets sont le reflet de l’inévitable conscience environnementale qu’il a développée en vivant depuis toujours en bord de mer, près de villes rejetant beaucoup de déchets. Sa problématique est la même depuis plusieurs années : comment sensibiliser les citoyens aux enjeux environnementaux des milieux marins par le biais de l’art ?

“Le plastique engendre aujourd'hui des conséquences désastreuses. Alors qu’il était auparavant question de macro ou microplastique, l’on parle aujourd’hui de nanoparticules. Les particules de plastique dans les océans ne sont plus visibles, et sont directement récupérées dans l’estomac des animaux marins. Cette matière rentre dans la chaîne alimentaire, et l’humain, en tant que super prédateur situé en haut de celle-ci, finit malgré lui par manger le plastique qu’il a lui-même rejeté. Les répercussions économiques, sanitaires et écologiques sont sans précédent.”

Esteban Richard, TOTEM, 2016, Plastiques recyclés

Il a tout de suite été important pour Esteban Richard de s’équiper de connaissances théoriques et de rencontrer des personnes qui n'étaient pas dans le secteur de l’art, notamment des scientifiques, océanologues et biologistes.

Totem, une œuvre produite à partir de matière recyclée, a été imaginée en coopération avec la Surfrider Foundation, une association de protection de l'environnement des milieux aquatiques. “Ensemble, nous avons réalisé une collecte de déchets pendant plus de 6 mois en Bretagne.” Une fois rassemblés, les déchets sont lavés et triés par lieu de collecte. Il sont ensuite broyés dans une machine fabriquée ad hoc par l’artiste avec l’aide d’artisans, puis refondus dans des moules de la même forme que des bouées d’amarrage.

Esteban Richard, BALISE, détail d'une bouée réalisée durant l'été 2018 à Rodebay au Groenland dans le cadre de seconde expédition d'Atka. Plastique récupéré sur la côte, broyé et refondu.

Le tout premier Totem se trouve sur la rade de Brest et pèse 8 kg, poids proportionnel à la quantité de déchets ramassés en 1h30. Sortie du milieu institutionnel, l’oeuvre se place ainsi dans le paysage pour sensibiliser les promeneurs.

En mai 2018, Esteban a poursuivi son travail jusqu’au Groenland grâce au voilier Atka, un navire alliant voyageurs scientifiques et artistes pour sensibiliser sur les problématiques environnementales touchant les milieux polaires.


“Prenez soin de cette installation comme il le faudrait avec notre Terre.”

Pascale Peyret est une artiste photographe qui entreprend depuis 2005 une exploration d‘archéologie numérique.

Sa série Green Memory est une installation de grille de métro de 1m2 et d’un assemblage de composants électroniques formant une ville. Au sein de cet espace, Pascale Peyret a planté un blé ancien, le blé kamut. Trouvé dans les pyramides en Égypte, ce blé était utilisé pour le passage dans l’au-delà du défunt. La mémoire historique de ce blé antique est entremêlée à celle des données contenues dans ces composants électroniques.  “Au fil du temps, le blé pousse et submerge la ville, il la colonise..."

Pascale Peyret, Green-Memory, 2006

Exposé pendant la COP21, cette installation portait le message suivant : “Prenez soin de cette installation comme il le faudrait avec notre Terre.”  Pascale cherche à diffuser un message positif : travailler avec le vivant et étudier la manière dont il peut être un allié à notre travail.

“C’est aussi l'occasion, quand je travaille avec des jeunes, de parler de l’obsolescence programmée et de la valeur des choses - comme ces cartes mémoire et disques durs qui valent cher et se démodent 6 mois plus tard -, de poser un regard sur la façon dont fonctionne notre monde et de prendre un certain recul par rapport à cela.”  Elle-même photographie ses œuvres avec un appareil sténopé, “un appareil des plus archaïques”, qui peut être fabriqué avec n’importe quel matériau : un carton, une boîte de conserve...

Pascale Peyret, Memory Module, 2005

Entre ses installations, ses vidéos et sa photographie, Pascale interroge la mémoire du vivant, du végétal et des hommes dans leurs industries. Avec ses prises en contrepied, elle explore le rapport ambigu entre nature et être humain par la perception subjective qu’ont les spectateurs.

Pour Pascale, “les déchets sont effectivement des mines pour les artistes, des mines au sens propre, les mines d'aujourd'hui. Les composants électroniques qui se trouvent dans l’installation de Green Memory sont, grâce à l’œuvre, recyclés et redevenus des métaux précieux.”


“Si l’on avait donné de la valeur au plastique, il ne serait pas dans la nature.”

Depuis 2015, William Amor est un artiste plasticien se définissant comme “ennoblisseur de matières”. Sa rencontre avec le déchet a été un véritable déclic. Amoureux des fleurs et du vivant, il tente de jouer avec la fatalité de l’indestructibilité du plastique en en faisant une force plutôt qu’un problème. “Si l’on a créé un matériau à usage unique qui ne se dégrade pas, pourquoi ne l’expoite-t-on pas sur la durée ?”

William Amor, Les créations messagères, Musée des Arts Décoratifs, Paris - Exposition Christian Dior. Installation “Jardin de Granville” dans la vitrine de la boutique, 2017.

“On a jugé le plastique sans valeur. C’est faux car il vient du pétrole, qui est une ressource naturelle. Or, si l’on avait donné de la valeur au plastique, il ne serait pas dans la nature.” La technique de William Amor s'apparente au métier de la parure florale : il s’adapte à la matière plastique, qu’il considère comme tout autre matériau noble, comme une matière première naturelle. Travaillée à chaud, un assemblage méticuleux et patient permet de faire prendre au plastique recyclé la forme voulue. 

Nous n’avons qu’une vie, autant en faire une histoire, autant qu’elle soit jolie et qu’elle ait un impact.” Pour William, la fleur est la meilleure des ambassadrices pour porter le plastique non pas en tant que déchet mais en tant qu’œuvre, et pour lui donner du sens. Il dit qu’il mène une jolie bataille au jugement de valeurs, en créant cette symbolique qui véhicule un message sans le forcer. Le message se diffuse par lui-même, il n’est pas imposé, et est interprété différemment par chacun. 

William Amor, Les créations messagères, Musée des Arts Décoratifs, Paris - Exposition Christian Dior. Installation “Jardin de Granville” dans la vitrine de la boutique, 2017.

La place de l’humain est une partie essentielle de l'engagement de William Amor. Dans son atelier, Créations Messagères, il ne travaille pas seul. “J’ai voulu donner leur place à des personnes marginalisées, les personnes handicapées. J’avais envie de partager cette part de rêve avec eux. Ce sont des personnes qui peuvent se sentir cloisonnées, hors de la société, incapables avoir accès à ce type de métiers. Maintenant, ils ont un savoir-faire...”


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