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Entretien avec Antoine Raynaud, directeur de cabinet de la mairie de Loos-en-Gohelle

À Loos-en-Gohelle, construire le récit d'une ville en transition

 
Dans le cadre de la campagne Nouvelle (R), qui vise à expérimenter d’autres manières de faire société, plus justes, démocratiques, écologiques et solidaires à l’échelle des territoires afin de rallier le plus grand nombre à la bascule écologique, le Mouvement Colibris part à la rencontre de territoires inspirants. Aujourd’hui on embarque direction Loos-en-Gohelle, dans le Nord-Pas-de-Calais. Cette commune de 7000 habitant·es, pionnière des démarches de transition, a été labellisée « démonstrateur de la conduite du changement vers une ville durable ». Ce label vient reconnaître quelques vingt ans d’action publique et citoyenne qui ont conduit cette ancienne ville minière à devenir un véritable laboratoire d’expérimentation des démarches de transition et de participation citoyenne. Un exemple éclairant, pour les territoires qui veulent basculer ! Entretien avec Antoine Raynaud, directeur de cabinet de la mairie de Loos-en-Gohelle.



Quelle est la conception de la démocratie de la mairie de Loos-en-Gohelle ? Vous parlez de « démocratie implicative » plutôt que de « démocratie participative », pourquoi cette distinction ?
L’ancien maire de Loos, Jean-François Caron, avait l’habitude de dire que « démocratie participative » renvoie au concept dévoyé de la participation, qui consiste à penser qu'il suffirait de consulter les gens pour les faire participer. À Loos, nous recherchons plutôt une prise de responsabilité de la part des acteurs et des habitant·es, une forme d'engagement. Même si tous les sujets ne se prêtent pas aux logiques de co-construction, on essaie de mettre les gens en responsabilité autant que possible.

Vous utilisez à plusieurs reprises la notion de capacitation. Comment la définissez-vous ?
La capacitation c’est l’idée que les gens se transforment par l’engagement. Cela implique de les mettre en responsabilité. C’est en passant à l'action, en donnant du temps et de l'énergie pour des projets sur lesquels ils s’impliquent, que les gens apprennent, changent de posture et de représentations. Cela participe de la conduite du changement. C’est aussi une logique d’éducation populaire : à travers la contribution active, les gens développent des compétences, des qualités qui vont leur être utiles au-delà du projet. La capacitation est donc facteur d'émancipation, de confiance et de lien social.

Crédit photo : Loos-en-Gohelle

Quand on fait de l’implication citoyenne, le rôle de l'élu change. Que devient-il ?
À Loos, on ne fait pas de co-décision : l'élu garde la prérogative de l'arbitrage, mais effectivement, son rôle change. L'idée n'est pas d'avoir un élu qui est le sachant et décide de façon verticale mais, au contraire, qui reconnaît la légitimité des habitants à s'impliquer et parler de sujets qui concernent la vie publique. C'est aussi un élu qui considère que les techniciens et les techniciennes des services ne sont pas de simples exécutants, mais des agents en capacité de qualifier le projet politique, de le critiquer et de l’enrichir grâce à leur connaissance du terrain et de la réalité juridique et financière.

"L’échelle de la commune constitue une bonne échelle pour l'implication habitante, car c'est l'échelle des liens interpersonnels, ce qui permet des relations de confiance."

Dans quelle mesure la commune constitue-t-elle une échelle pertinente pour faire face aux enjeux écologiques ? Comment articuler démocratie locale et problématiques globales ?
Il me semble que l’échelle de la commune, surtout les communes de notre taille, constitue une bonne échelle pour l'implication habitante, car c'est l'échelle des liens interpersonnels, des liens directs entre les élus et les habitants, ce qui permet des relations de confiance. Toutefois, ces enjeux nécessitent des réponses mutualisées. Certains investissements sont lourds, et nécessitent d’être portés à plusieurs collectivités. Les agglomérations, les départements, les régions peuvent porter des grandes stratégies d'aménagement et d'investissement sur les infrastructures et sur le développement de nouveaux marchés, tandis que l’échelle communale reste la bonne échelle pour impliquer les habitants et avoir une bonne connaissance du terrain. Sur la question alimentaire, par exemple, c’est là que les agriculteurs peuvent trouver des interlocuteurs, qu’on peut travailler l'interconnaissance entre les acteurs d'un même écosystème et favoriser les coopérations. Cela requiert toutefois des techniques d'animation et d'ingénierie spécifiques qui font souvent défaut.

Selon vous, l’implication citoyenne est-elle suffisamment prise en compte dans l’élaboration des politiques publiques aujourd’hui ?
 Il y a une évolution vers plus de participation, mais très souvent, cette dernière se limite à de la concertation, notamment dans les grandes villes. « On va refaire le boulevard, vous voulez la piste cyclable là ou là ? ». Il n'y a pas de mise en responsabilité des habitants. Ça ne suffit pas de dire « on a concerté, la démarche est plus démocratique » ; il faut créer les conditions pour que les habitants s'impliquent réellement.

Néanmoins, de plus en plus d'outils sont à disposition des élus et des collectivités. Réseaux, cabinets de conseil, structures publiques qui partagent leur expérience comme nous, l’offre de contenus est de plus en plus riche. Ce qui manque, en revanche, c'est la volonté politique, peut-être aussi une meilleure compréhension de ce qui se joue, et un manque d'expérience. L'implication habitante, c’est beaucoup de vécu, il faut y retourner et parfois se tromper.

Quel est votre sentiment sur l'état actuel de la démocratie ? L'avenir de la démocratie est-il dans les communes ?
Je pense que l'implication habitante est une façon de restaurer la confiance avec la politique. Chacune et chacun a pu constater la crise de confiance entre les citoyens et les représentants élus, particulièrement au niveau national. L'implication apporte une nouvelle légitimité pour le politique. Mais cette légitimité doit se construire, il ne suffit pas de concerter. Il faut reconnaître les besoins des habitants, leur légitimité à s'engager, et la valeur de leur expertise d'usage. Les habitants ont une meilleure connaissance que tous les autres acteurs de leurs propres besoins et des services publics dont ils sont usagers. Les associer, c'est bénéficier de leur expertise. Mais cela demande du temps, de l'énergie et des compétences spécifiques. Pourtant, si on arrive à mettre en place un processus qui permet de bénéficier à la fois de l'expertise d'usage des habitants, de l'expertise politique des élus et de l'expertise technique des services, on a un processus d'intelligence collective qui vient considérablement qualifier les politiques publiques.

"À Loos, on n'hésite pas à dire quand on s'est trompé. Les gens attendent d'être reconnus, de ne pas être pris pour des idiots."

L’implication habitante apporte également du sens et de la reconnaissance au travail des agents et des élus, dont les efforts sont révélés, en donnant à voir les coulisses, la complexité de porter un projet en devant jongler entre les intérêts souvent contradictoires de plusieurs parties prenantes. Cela nécessite des discours honnêtes, transparents, y compris sur les difficultés. À Loos, on n'hésite pas à dire quand on s'est trompé. Les gens attendent d'être reconnus, de ne pas être pris pour des idiots.

La mise en récit constitue l’un des piliers de la stratégie de conduite du changement de Loos. Est-ce en réussissant à faire sens commun, autour d’une trajectoire partagée, que la mairie a réussi à mobiliser ?
En tout cas, elle a rendu la démarche intelligible et elle a mobilisé. C'est pourquoi il est important de créer des récits. Toutes les sociétés se sont construites sur des mythes fondateurs. La puissance des récits dans leur capacité à fédérer et à embarquer les individus est colossale. À Loos, on sait que les récits sont essentiels et on veut construire celui d'une ville en transition. Par contre, on veille à ce que ce récit n'ait pas qu'une seule source, celle de la mairie, mais soit au contraire alimenté d’une multitude de récits ; des récits d'habitants qui ont ramassé des déchets, qui ont construit une maison d'assistance maternelle, de techniciens qui sont passés au zéro phyto, etc. Sinon, on tombe dans un récit qui enjolive la réalité, qui n'en raconte que les aspects positifs et on risque de créer une propagande. On cherche au contraire à encourager les gens à raconter leur projet, leur réussite, la façon dont ils se sont transformés, mais aussi là où ça a frotté, où ça n’a pas marché. On leur demande d'être sincères sur ce qui ne fonctionne pas parce que c'est une forme d'évaluation pour nous.

Crédit photo : Loos-en-Gohelle, CC-By-SA

Comment faites-vous justement pour entendre toutes les voix, pour inclure tout le monde, aller vers les publics qu'on n'entend habituellement pas, pour que ce ne soit pas toujours les mêmes qui participent ?
Les habitants ne sont pas une entité homogène. On vient de faire une étude de profilage sociologique qui nous a révélé quatre profils-types : des engagés quoi qu'il arrive, des gens qui peuvent s'engager potentiellement mais qui n'ont pas le temps, des gens qui s'en foutent complètement, et des gens dans de telles situations de détresse sociale qu’ils sont incapables de se projeter dans des démarches d'implication. Il y a donc une nuance à apporter quand on parle des habitants.

"Plus le sujet est conceptuel et abstrait, plus il est difficile de mobiliser."

Ensuite, l'implication a plein de portes d'entrée : ça peut être le sport, le zéro déchet, etc. L’important est de créer des espaces d'implication avec des élus et des agents qui ont la bonne posture pour les animer et les bonnes compétences pour associer les habitants. Après, plus un sujet concerne la vie quotidienne ou est l’objet de tensions, plus les gens vont se mobiliser. À l’inverse, plus le sujet est conceptuel et abstrait, plus il est difficile de mobiliser en dehors de ceux qui participent déjà.

On peut aussi jouer sur les modalités. Certain·es n'ont peut-être pas le temps ni les moyens pour s’impliquer, avez-vous déjà réfléchi à des formes d'indemnisation pour permettre la participation de tout le monde ?
C'est dans cette optique qu’on a créé la Manne, une monnaie locale à la base d’un système d'échange dans lequel vous donnez de votre temps sur des projets d’intérêt général relatifs aux enjeux de transition, en contrepartie d’une somme de Manne qui vous permet d'accéder à d'autres biens et services dans les commerces de la ville. Au-delà des temps de célébration, l’idée était d’apporter, avec la Manne, une autre façon de valoriser et d’inciter l’implication, tout en relocalisant la valeur économique, et en favorisant les échanges. Mais ça a un peu de mal à prendre pour l’instant.
Concernant des formes d’indemnités, on ne peut pas se le permettre en termes de budget. On essaie au maximum de faire nos réunions publiques le soir, en semaine, sur des horaires où les gens sont plus disponibles pour essayer d’inclure tout le monde mais on ne peut pas envisager d’indemnisation.

L’implication des habitant·es est un incontournable d’une véritable transition territoriale, l’exemple de Loos-en-Gohelle le montre bien. C’est en associant habitant·es, agents et élu·es, que cette ville sinistrée par la fermeture de l’industrie minière a rebondi pour devenir, dans un remarquable changement de trajectoire — de la mine à l’écologie —, une pionnière des démarches de transition systémique à l’échelle territoriale. Mais « participation sans responsabilisation = piège à cons ! » comme le dit souvent Jean-François Caron, ancien maire de Loos-en-Gohelle. Une véritable implication nécessite un changement de posture, du côté des habitant·es comme des élu·es et des technicien·nes afin de reconnaître la légitimité et l’expertise spécifiques de chacun·e. Cela implique également de développer des techniques d'animation et d'ingénierie adaptés qui font souvent encore défaut. Heureusement, comme le souligne Antoine Raynaud, de plus en plus de collectivités se lancent et partagent leur expérience, comme le fait Loos-en-Gohelle, et les outils et retours d’expérience se font toujours plus nombreux !

Pour aller plus loin

– Le référentiel « L’implication des citoyens, retour d’expérience de la commune de Loos-en-Gohelle »
– La page ressources du CERDD (Centre Ressource du Développement Durable)
– Le témoignage de Jean-François Caron, ancien maire de Loos-en-Gohelle, dans le cadre du Mooc Démocratie


Crédits photo : mairie de Loos-en-Gohelle

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