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Foodorama #5

Le commerce équitable : une solution pour les petits producteurs ?


Cet article a été initialement publié sur worldfoodorama.com

Nous sommes Kalima et Sylvain et depuis le 21 septembre 2018, nous voyageons à vélo couché. Pendant 2 ans, nous parcourrons les 5 continents, soit plus de 40 000km, pour aller à la rencontre des personnes qui innovent afin de trouver des solutions écologiques et durables pour nourrir notre planète. Cette aventure, que nous avons appelée Foodorama, est née d’une envie de découvrir le monde tout en nous engageant sur un thème qui compte beaucoup pour nous, l’alimentation.



Pour parler d’un sujet aussi complexe que le commerce équitable nous voulions avoir différents points de vue dans différents pays. Notre enquête nous a donc amené au Mexique en février, en Colombie en juin et au Pérou en aout dernier.

Nous avions déjà une idée plus ou moins précise des principes du commerce équitable, une alternative au commerce mondial dominant reposant sur des critères :

  • Économiques : paiement d’un prix juste, relations commerciales sur un long terme etc.
  • Sociaux : respect des conventions de l’Organisation Internationale Travail (temps de travail, âge minimum, revenu minimum etc.)
  • Démocratiques : participation aux décisions, égalité des travailleurs
  • Environnementaux : respect de la biodiversité, durabilité, gestion écologiques des déchets…
  • Sensibilisation : sensibilisation des populations aux enjeux d’un commerce plus juste

En rencontrant différentes organisations et formes de commerces équitables, nous voulions découvrir les contraintes de ce commerce et savoir si c’était un système viable et véritablement juste pour les producteurs. 

Nous allons découvrir que sous la dénomination générale « commerce équitable », il existe en réalité de nombreux labels avec des cahiers des charges bien différents.  Les 3 principaux que nous trouvons en France sont :

Nous allons dans un premier temps rencontrer deux coopératives labellisées Fairtrade – Max Havelaar très différentes, l’une au Mexique qui produit du café et la seconde au Pérou qui produit du cacao.

Tout commence donc dans le Sud du Mexique, où nous rencontrons les producteurs de café de la coopérative Michiza de la région de Oaxaca. Nous nous rendons à 4 heures de route de Oaxaca dans un petit village de la communauté Zapotèque.

Gil, le responsable technique de la coopérative, nous accompagne. Nous découvrons des petites plantations de café gérées de manière bio et éco-responsable, sans produits chimiques, avec une belle couverture d’arbres natifs de la région (voir notre article précédent sur l’agroforesterie) pour faire de l’ombrage aux caféiers. Tout le travail est fait à la main et nous sommes sidérés de voir Marcelina, une productrice de plus de 80 ans, gravir les montagnes devant nous pour se rendre à sa plantation et faire la cueillette à la main.

On suivra avec elle tout le processus du café, de la cueillette à un bon café chaud, en passant par le dépulpage, la fermentation, le séchage, la torréfaction et la mouture.

Gil nous raconte ensuite l’histoire de la coopérative et de la certification Fairtrade. Suite à la crise des prix du café à la fin des années 80, le label « Max Havelaar » est créé aux Pays Bas en 1988 pour protéger les producteurs de café qui ont pour beaucoup sombré dans une pauvreté extrême.

Les critères économiques du label Fairtrade/Max Havelaar sont doubles :

1 – Les matières premières sont achetées à un prix minimum garanti, qui couvre les coûts de production et agit comme un filet de sécurité face aux fluctuations des cours mondiaux. Les producteurs et productrices ne pâtissent plus des chutes de prix : le prix payé reste stable si le cours baisse, mais augmente avec lui s’il monte.

2 – Ils versent également une prime de développement pour des projets locaux, en plus du paiement des matières premières, aux organisations de producteurs ou aux comités de travailleurs. Elle est utilisée de manière collective et autonome pour financer des projets économiques, sociaux et environnementaux (construction d’infrastructures, amélioration de la production, accès à l’eau, à la santé, à l’éducation…).

Gil nous explique que cette solution a permis à beaucoup de producteurs de sa région de perdurer et de sortir de la pauvreté dans les années 90 – 2000. Aujourd’hui les producteurs de la région font face à une nouvelle menace, les caféiers souffrent pour beaucoup de la « rouille du café », une maladie qui oblige à arracher les caféiers et fait baisser drastiquement la production et par conséquence augmente les coûts de production. Le gouvernement a tenté de venir en aide aux producteurs en leur donnant des nouvelles variétés de café plus résistantes à la rouille. Malheureusement les dons des nouveaux plants ont été faits en dehors de la saison de plantation et la plupart des plants se meurent en attendant d’être mis en terre. 

D’un autre côté, selon Gil, aujourd’hui le prix minimum garanti ne prend pas en compte ces aléas et ne suffit plus à couvrir réellement les coûts de production. Il nous fait part de sa frustration face à cette situation qui met les producteurs de la région dans une position délicate. Ses mots sont durs concernant les intermédiaires du café qu’il appelle – lui ainsi que les autres producteurs que nous avons rencontrés – les « coyotes ». Il nous avoue même qu’un producteur en conventionnel hors commerce équitable gagne, selon lui, autant qu’un producteur bio labélisé Fairtrade/Max Havelaar avec moins de contraintes à respecter. Bien entendu beaucoup de producteurs aimeraient que leurs produits soient mieux valorisés sur les marchés, mais nous sentons ici une réelle détresse

L’accueil que nous avons reçu de la part de Gil et Marcelina pendant ces quelques jours nous a beaucoup marqué. Nous avons grâce à eux pu apprendre énormément sur la culture du café et la situation de ces petits producteurs au Mexique. Il y a derrière notre tasse de café, des producteurs passionnés qui travaillent d’arrache-pied chaque jour, qui font fasse à une concurrence féroce des grandes plantations du Brésil et de Colombie et qui méritent notre attention et d’être rémunérés dignement. 

Même si nous sortons un peu désillusionnés face au discours de Gil, nous décidons de nous rendre dans une autre coopérative labélisée Fairtrade/Max Havelaar, cette fois-ci au Pérou et sur le cacao pour voir si cette situation est généralisée.

Nous nous rendons dans la région de San Martin, en bordure de l’Amazonie, dans la coopérative d’ACOPAGRO. Il y a 25 ans, les producteurs d’ici produisaient essentiellement de la coca pour la fabrication de la cocaïne. Cette production illégale a entrainé énormément de violences dans la région. Aujourd’hui, l’essentiel des producteurs se sont tournés vers le marché du cacao. Cette production était une véritable alternative pour les producteurs pour sortir de la culture de la coca. Ils se sont organisés en coopérative et tournés vers le commerce équitable. ACOPAGRO est aujourd’hui la deuxième plus grande coopérative de cacao en Amérique Latine. 

Nous rencontrons 5 productrices et producteurs ainsi que le gérant de la coopérative. Très vite, nous sentons qu’ici la situation est bien différente du Mexique. Les agriculteurs ont l’air satisfait des conditions économiques qu’apporte le label Fairtrade/Max Havelaar et notamment de la prime de développement propre à ce label.

En effet, en plus de la prime que les producteurs reçoivent pour produire de manière biologique, la coopérative reçoit une prime de Fairtrade/Max Havelaar pour développer des projets communautaires. Nous avons pu constater les bénéfices de cette prime sur le terrain : bâtiments de stockage et de traitement du cacao, outils (balance, thermomètre, outils de mesure etc.), cuisine améliorée, campagne médicale, formation et accompagnement technique notamment pour la transition vers le bio et pour faire face aux maladies qui nuisent aux plantations.

Chaque année, la coopérative organise avec les producteurs une AG pour décider à la majorité comment la prime sera dépensée. En fin d’année, une deuxième réunion est mise en place pour constater et justifier les dépenses. 

Ce système de prime a permis à de nombreux producteurs de passer d’une culture conventionnelle à une culture biologique tout en améliorant par ailleurs leur qualité de vie. 

Le label historique Fairtrade/Max Havelaar regroupe aujourd’hui plus de 1,6 millions de producteurs à travers le monde dans des contextes politiques, économiques et environnementaux bien différents et complexes, ce qui rend difficile une prise en compte « au cas par cas » des coopératives. Nous avons rencontré des producteurs au Mexique déçus de ce label et d’autres au Pérou qui nous semblaient beaucoup plus épanouis dans ce partenariat.

Au cours de nos recherches nous avons eu la chance de rencontrer en Colombie, Nelson Melo Maya, le président de SPP, Symboles de Petits Producteurs, un label qui nous semble répondre aux enjeux rencontrés au Mexique.

La grande différence de SPP vient du fait que c’est le premier label créé et géré par les producteurs eux mêmes. Autre différence importante de ce label, c’est une initiative des pays du Sud (Mexique) pour les pays du Sud.

Dernièrement, avec la création en 2015 de l’association SPP France, et l’entrée en vigueur en 2014 de la loi ESS qui étend la définition du commerce équitable à des relations avec tous les producteurs, y compris en France,  le commerce équitable concerne les producteurs des pays du Nord qui eux aussi souffrent des conditions imposées par la grande distribution. 

Certains critères du label SPP ressemblent à ceux de Fairtrade/Max Havelaar comme l’existence d’un prix minimum garanti, respect des conditions de travail et de l’environnement etc… mais des différences existent : 

  • Appartenance du cahier des charges aux producteurs eux-mêmes (même si le contrôle est fait par des organismes externes comme pour tous les labels) dans lequel ils définissent le prix minimum garanti incluant les primes (bio + équitable)
  • Un prix minimum garanti plus élevé (car le prix minimum garanti du commerce équitable est trop bas et n’atteint que rarement les cours internationaux) : par ex pour SPP 220$/sac de café (prix garanti 160$/sac + prime bio et équitable 60$/sac) alors que pour le label Fairtrade/Max Havelaar il est de 190$/sac de café (prix garanti 140$/sac + prime bio et équitable 50$/sac).
  • Label centré sur les petits producteurs et l’agriculture paysanne (par exemple 85%  des producteurs de café ont moins de 15ha)
  • Diminution des intermédiaires en ne choisissant que des coopératives qui exportent elles-mêmes

Le label SPP bénéficie aujourd’hui à 93 000 producteurs, ce qui est bien loin du label Fairtrade/Max Havelaar. Nous avons hâte de rencontrer des producteurs labellisés SPP pour nous rendre compte si sur le terrain, ce label tient ses promesses.

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