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Des communes à l’avant-garde 2/2


Il n’y a pas que le gouvernement qui peut changer des choses. Si l’attention est focalisée sur la politique nationale, de nombreuses municipalités font preuve d’imagination pour transformer la vie locale. Des transports en commun à la gestion de l’eau, voici un tour de France de ces villes à l’avant-garde.



Mieux consommer grâce à la monnaie

Du radis d’Ungersheim à l’abeille de Villeneuve-sur-Lot et au lou pélou du Limousin, les monnaies locales ont au moins l’avantage de leur joli nom. Mais pas seulement: elles ont aussi un intérêt économique et environnemental. L’envol de ces monnaies locales – une quarantaine aujourd’hui en France – est assez récent et « s’inscrit dans un mouvement planétaire de grande ampleur puisqu’on estime en effet à environ 5 000 le nombre de monnaies complémentaires dans le monde », relevait un rapport remis en 2015 à Bercy (3), notant que cet essor a suivi la crise financière des subprimes et des dettes souveraines. Malgré quelques risques inévitables (blanchiment, contrefaçon, inflation...), ces monnaies alternatives offrent de nombreux avantages : fidéliser une clientèle autour de commerces locaux puisque cet argent n’est dépensable que dans certains points de vente, lutter contre la désertification en dynamisant les circuits courts et bio tout en renforçant la cohésion sociale.

À ce jour, la plus importante monnaie locale d’Europe est française. Ou basque, plutôt. Créé en 2013, l’eusko a atteint un montant en circulation dépassant aujourd’hui le million d’euros. Gérée par l’association sans but lucratif Euskal Moneta, cette monnaie locale complémentaire est utilisée par 3 200 particuliers, 820 professionnels et 17 communes. Car oui, il s’agit bien officiellement d’une monnaie « complémentaire » : elle ne peut être utilisée que sur un territoire réduit et un nombre de marchandises donné. Ce type de monnaie alternative, dont le statut a été précisé dans la loi de 2014 sur l’économie sociale et solidaire (ESS), ne peut en aucun cas se substituer à l’euro. Et en la matière, l’État reste jaloux de ce pouvoir qui est l’une de ses prérogatives fondamentales. La préfecture des Pyrénées-Atlantiques a ainsi attaqué en justice la convention passée par la ville de Bayonne avec Euskal Moneta afin de lui permettre d’effectuer des paiements en eusko. Selon l’État, une commune ne peut payer dans une autre monnaie que celle qui a cours légal. 

Finalement, un accord a été trouvé en 2018 : la ville versera des euros à l’association, qui elle-même créditera en eusko le destinataire du paiement. Un nouveau succès, qui montre que l’eusko séduit plus vite que l’euro.

Moins de déchets, moins de gaspillage

Commencer par les déchets pour tout changer ? C’est le pari fait par Roubaix en 2014, lorsque la ville décide de participer à l’appel à projets « Territoire zéro déchet zéro gaspillage » du ministère de l’Écologie avec la conviction que « le zéro déchet peut véritablement permettre de rendre sa gloire à Roubaix ». Question d’écologie donc, mais aussi de fierté pour cette ancienne capitale industrielle connue comme un territoire de grande pauvreté. Cinq ans plus tard, Roubaix fait valoir une réduction de moitié des déchets chez les 500 foyers qui ont rejoint la démarche, vantant même des économies de 1 000 euros par an pour ces familles. Celles qui participent sont incitées à acheter en vrac et d’occasion, mais aussi aidées pour faire leur liste de courses. 

Au-delà des habitants, l’impulsion a été lancée tous azimuts – des entreprises aux associations. Les 50 écoles passées au zéro déchet ont ainsi fait disparaître les barquettes en plastique des cantines, où de la vaisselle réutilisable est mise à disposition, tout en s’engageant à ne pas gaspiller plus de 100 grammes par assiette. Quant aux commerçants intéressés par la démarche, un accompagnement téléphonique gratuit leur est proposé. Bref, chaque acteur a une solution sur-mesure. Et la communication a été particulièrement travaillée – du site internet ludique aux « événements zéro déchet » qui animent la vie locale. Pour les fêtes de fin d’année, la municipalité a ainsi organisé un « Noël zéro déchet » avec un slogan attractif : « Pour ne pas faire rimer Noël avec poubelles, comptez sur votre créativité ! » Qui a dit que l’écologie était forcément punitive ?

Le salariat, oasis des déserts médicaux ?

De plus en plus de territoires sont démunis face à ce que les experts nomment les « zones sous-denses » et le grand public les « déserts médicaux ». Et, sur fond de creux démographique de la profession, la situation ne risque guère de s’améliorer rapidement. Isabelle Dugelet, maire de La Gresle, un village de quelque 850 âmes dans le département de la Loire, a même pris un arrêté en décembre pour interdire à ses concitoyens de décéder durant les week-ends. Un texte à ne pas lire au premier degré, bien sûr, l’objectif étant d’abord d’alerter sur une situation de détresse à la suite d’un décès un dimanche, qui a mis plusieurs heures à être constaté en raison de l’absence de médecin. Si au niveau national le débat s’anime, entre contrainte d’installation et incitation financière, certains maires ont pris les devants.


À Ry, village de 722 habitants en Seine-Maritime, les deux généralistes sont à la retraite depuis plus d’un an. La municipalité a alors décidé de transformer l’ancienne agence de La Poste en cabinet médical pour trois médecins, pour un coût de 480 000 euros dont 20 000 de sa poche. « Ces frais paraissent lourds pour une petite commune comme la nôtre. Mais si on n’avait rien fait, ça aurait engendré des conséquences négatives pour les habitants, comme la fermeture de la pharmacie et des commerces », a expliqué la mairie au Quotidien du médecin, qui a médiatisé l’initiative dans un article publié le 30 octobre 2019. D’autres communes ont fait le choix de salarier directement des médecins, comme Saint-Pierre-des-Corps – qui rémunère sa nouvelle docteure 80 000 euros par an depuis 2017 – ou Charleval-en-Provence – qui a embauché le sien pour trois ans comme contractuel de la fonction publique. Un effort conséquent, mais dont dépend la survie de ces petites communes.
Au sens propre, comme au figuré.

Améliorer l'utilisation de l'énergie

L’économie d’énergie est aussi une économie pour les portefeuilles. Le maire de Spicheren, cité mosellane de 3 000 habitants, l’a bien compris : depuis avril 2016, la commune offre à ses administrés un diagnostic thermique gratuit de leur habitation et a prévu 10 000 euros dans le budget municipal annuel pour subventionner les foyers qui amélioreront leur isolation. « Sachant que le chauffage représente 70 % des besoins en énergie d’un foyer moyen, il est logique que nous concentrions nos réflexions sur ce sujet. Il faut réduire les pertes de chaleur au niveau des ouvertures. Parfois, il suffit de changer une porte d’entrée ou de garage, des fenêtres... pour améliorer considérablement nos performances énergétiques », avait expliqué l’édile, Jean-Charles Giovannelli, au Républicain Lorrain (27 avril 2016) lors du lancement de l’initiative. 

Du côté de Cachan, dans le Val-de-Marne, on utilise la géothermie depuis 1984 pour chauffer la ville. Concrètement, il s’agit d’exploiter l’eau chaude des nappes phréatiques en s’inspirant des techniques de forage issues de l’industrie pétrolière pour alimenter les réseaux urbains de
chauffage.

Mais la commune qui est peut-être allée le plus loin sur le sujet se situe au nord de Rouen. Malaunay (6 000 habitants) s’est lancée depuis 2006 dans une transition avec l’objectif d’atteindre l’autonomie énergétique en 2050. Fait rare, le site internet de la commune détaillant la démarche assume le contre-pied d’un modèle d’habitat qui a jadis fait son succès : « Si la ville a connu par le passé un coût du foncier accessible et de l’attractivité du format “maison individuelle”, ce modèle de ville à la campagne n’est désormais plus soutenable. » De l’installation de panneaux photovoltaïques à l’isolation, l’investissement a été massif. Au point que la commune fait valoir une division par deux des émissions de gaz à effet de serre et une baisse de 35 % de la consommation énergétique.

Le transport pour tous

Et si, comme les lampadaires ou les parcs municipaux, les transports devenaient un service public gratuit ? Du Brésil aux États-Unis en passant par l’Estonie – Tallinn est la seule capitale à l’avoir mis en place –, des dizaines de villes ont opté pour une gratuité intégrale des transports publics. En France, si des municipalités comme Paris ont recours à une gratuité seulement partielle, comme lors des pics de pollution, une quarantaine de communes ont fait le choix d’une gratuité totale. Et la mesure ne date pas d’hier : Colomiers est la première ville française à avoir fait ce choix dès 1971, suivie par Compiègne en 1975.

À ce jour, trois villes ou communautés d’agglomération de plus de 100 000 habitants ont adopté cette politique. Niort s’y est mise depuis septembre 2017, sous l’impulsion de son maire centriste Jérôme Baloge dont c’était une promesse de campagne. Après un an, la ville revendiquait une hausse de 20 % de fréquentation du réseau. Dans la communauté d’agglomération du pays d’Aubagne et de l’Étoile, où la mesure a été mise en place en 2009, on avance même un triplement du nombre d’usagers – de 1,9 million en 2008 à 5,8 millions en 2016. Mais la Régie des transports de Marseille (RTM) a mis la main sur l’exploitation du réseau de l’agglomération en 2017 et, si la mobilisation sur place a permis d’obtenir une dérogation, le contrat d’obligation de service public s’achève fin 2021. On craint alors de se voir retirer l’exception... Enfin, à Dunkerque, la gratuité partielle – durant les week-ends, depuis 2015 – est devenue intégrale en septembre 2018. Ici aussi, il s’agissait d’une promesse de campagne du maire, le divers gauche Patrice Vergriete. Avec quelque 200 000 habitants, c’est la plus grosse communauté urbaine d’Europe à la pratiquer après Tallinn. Un an plus tard, la fréquentation a bondi de 85 %.

Une mesure sociale forte pour ce territoire souffrant de précarité, mais aussi une mesure écologique ? C’est la question sensible. L’évidence voudrait que le report se fasse, or la conversion de l’automobiliste au transport collectif est loin d’être gagnée en raison du confort qu’offre la voiture individuelle. Concernant le coût, les transports publics gratuits comportent plusieurs avantages : ne plus avoir à rémunérer de contrôleurs, ni à s’occuper du système de tickets et des machines à composter – ce qui entraîne, au passage, une baisse du stress et de l’agressivité. Mais la gratuité a forcément un coût. Dunkerque a par exemple renoncé à la construction d’une salle de sport et de spectacles pour se l’offrir. Mais c’est surtout le « versement transport », ponctionné aux entreprises, qui est mis à contribution. 

Ainsi, Niort, qui bénéficie de l’implantation historique des sièges des mutuelles d’assurances, dispose-t-elle d’un versement transport de 15 millions d’euros. Soit une somme supérieure au coût de fonctionnement de son réseau ! Les différents cas de transports gratuits montrent que les avantages et inconvénients d’une telle politique doivent s’étudier au cas par cas. Un récent rapport du Sénat ne disait d’ailleurs pas autre chose : « La gratuité totale des transports collectifs ne constitue ni une fausse ni une bonne idée en soi ; tout dépend dans quel but elle est mise en œuvre (4) »



Illustrations : Aurore Carric


(3) « D’autres monnaies pour une nouvelle prospérité », rapport de la mission d’étude sur les monnaies locales complémentaires et les systèmes d’échange locaux, 2015.
(4) Version provisoire du rapport de la mission d’information du Sénat sur la gratuité des transports publics, 2019.


Pour aller plus loin :

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