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Chronique : La Bergère des Corbières #9

Gagner la montagne...


Elle aurait dû être prof de gym, elle sera calligraphe dans le Gers, durant treize ans. Puis en 2007, Florence Robert choisit une vie au contact des animaux et de la nature. Elle devient alors bergère et crée la Ferme des Belles Garrigues à Albas, dans l’Aude. Parallèlement à son activité agricole, elle écrit. En préparation, un livre autour du sort réservé aux orangs-outans et aux forêts primaires dans le monde…



Comme tous les ans, le troupeau part en montagne avant l'été pour avoir de l'herbe bien verte et de la fraîcheur. Le 29 juin dernier, les brebis et les agnelles montaient donc sagement dans un camion. Quelques heures après, elles étaient à Dorres, près de Font-Romeu dans les Pyrénées Orientales. Mélangées à d'autres troupeaux, elles ont ensuite gagné à pied l'estive, le lieu où elles passeront plusieurs mois en liberté – surveillée – dans l'herbe verte.

Trois semaines plus tard, je rejoins le troupeau pour quelques jours. Le samedi, nous regroupons les 800 brebis dans un vaste et solide enclos pour les soins. Echtyma podal, gros-pied, abcès, panari, piétin... le pied est le talon d'Achille de la brebis, surtout en montagne. C'est parfois impressionnant, il faut tailler profond dans les onglons pour crever l'abcès ou éliminer la corne pourrie. Cette année se présente bien cependant, il y a vraiment peu de brebis malades.

Puis le troupeau est libéré et nous courons presque devant pour assaler : mettre du sel sur de grandes pierres plates près de la cabane. Elles adorent ce sel qui leur fait se lécher les babines. À grands moulinets de bâtons, nous chassons les vaches et les juments qui aimeraient bien du sel elles aussi. Les patous aboient, les cloches battent à tue-tête, les dernières brebis arrivent enfin du parc, les premières commencent à monter derrière les pins. Nous déjeunons, puis gagnons la cabane du haut au pas tranquille des bêtes.

Deux gypaètes barbus nous survolent un moment avec leurs presque trois mètres d'envergure. L'oiseau est rare et j'en suis toute retournée.

Le lendemain matin, je me réveille après le berger. Le vent a soufflé toute la nuit et, à peine plus calme, glisse le long des pentes, griffe en sifflant les roches levées qui parsèment ça et là le plateau. Il fait frais à 2500m d'altitude. Sur l'étang, de petites vaguelettes clapotent en rigolant. Un son diffus de cloches ruisselle autour de la cabane. Le soleil m'éblouit, le site est majestueux. De petits sifflements, des oiseaux se signalent. Je reconnais un traquet motteux, un autre me semble être un accenteur mouchet. Assise entre deux pierres froides, j'admire ce tapis au ras du sol que le vent et le froid ont façonné. Des bruyères, des rhododendrons, des genévriers rampent et épousent au plus près roches et ondulations. Des gentianes, des campanules, et bien d'autres, héroïques, discrètes, jaillissent du feutre roide et enluminent la prairie d'altitude. Des papillons, des fourmis, un têtard, des mouches, la petite faune se réchauffe au soleil qui monte enfin. On vit ici une économie de trêve, avant le froid, avant l'hiver, avant le désordre du mauvais temps qui peut surgir à n'importe quel moment. D’ailleurs, la météo annonce des orages et peut-être de la grêle pour ce soir.

Une marmotte siffle, je la trouve facilement aux jumelles. Solide, grise et charnue ! Je m'amuse de son gros nez et de ses yeux à ras du sommet du crâne, très plat, spécificité que l'évolution a modelé pour qu'en affleurant à peine de son terrier, la marmotte puisse apprécier le danger avant la sortie.

Plus loin, l'estive se découvre complètement, elle forme un immense replat qui se perd à l'ouest, au-dessus de Porta. Le berger m'a expliqué : “— Elles vont s'avancer jusqu'au bout du plateau, trouver la clôture qui leur fera faire demi-tour, puis elles vont chaumer là, au-dessus du pierrier. La chaume, c'est le lieu du repos, pour dormir et ruminer. Les brebis adorent chaumer sous une crête ou un rebond de terrain.”

Pour le moment elles mangent, débonnaires, éparpillées. Aux jumelles, je cherche la marque verte de mes bêtes. Voici Clochette et son collier rouge. Voici Blandine et sa large cicatrice sur le dos. En voici d'autres, Mérinos, Lacaune ou Rouge du Roussillon. Les ventres sont pleins, le soleil et le vent font tourbillonner une vitalité légère. Elles qui marchent sagement tout l'hiver derrière Jérôme, sont ici capables de s'orienter et de se nourrir, de se mettre à l'abri des intempéries sur les 2000ha de l'estive, le tout en surveillant leur agneau. Elles en savent plus que je ne crois.

Le lendemain, il faut déjà descendre... quitter l'amie terrible : la montagne, ses beautés et ses dangers. Une bise au berger, je reviens dans trois semaines pour compter les bêtes, soigner et prendre un grand bol d'air pur.

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