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Chronique : La Bergère des Corbières #8

Un mouton à tout faire !


Elle aurait dû être prof de gym, elle sera calligraphe dans le Gers, durant treize ans. Puis en 2007, Florence Robert choisit une vie au contact des animaux et de la nature. Elle devient alors bergère et crée la Ferme des Belles Garrigues à Albas, dans l’Aude. Parallèlement à son activité agricole, elle écrit. En préparation, un livre autour du sort réservé aux orangs-outans et aux forêts primaires dans le monde…



Tulipes australes

Ce matin, un ami naturaliste m'invite à une petite balade dans les garrigues autour de la ferme. Rapidement, nos pas nous mènent vers la « Tortue », sorte de rebond de terrain pelé de sept hectares que le troupeau traverse souvent. Chemin faisant, Christophe me montre et me fait entendre beaucoup d'oiseaux : des fauvettes pitchou, passerinette et orphée, un serin cini, plusieurs bruants ortolans, un bruant proyer, un pipit rousseline, une pie-grièche, une alouette lulu, et d'autres encore... la nature regorge d'oiseaux !

Christophe s'arrête partout, nomme une quantité de petites plantes qui se révèlent souvent jolies vues de près. Certaines sont poilues, d'autres malingres, d'autres très odorantes, et presque toutes sont fleuries. Je lui montre une grosse « station » de tulipes australes, cette très jolie tulipe sauvage. Depuis notre arrivée il y a dix ans, ces tulipes ont largement prospéré, ce qui est pour moi un immense sujet de satisfaction. Pas d'orchidées ce matin, mais nous tombons sur une magnifique orobanche, la très rare orobanche des santolines. Cette plante parasite les santolines, en l’occurrence ici la Santoline velue, et utilise les produits de la photosynthèse de son hôte par l’intermédiaire de racines spécialisées, les suçoirs. Cette plante n’est actuellement connue que dans une vingtaine de communes en France, dispersées entre Var, Bouches-du-Rhône, Aude et Pyrénées-Orientales. Dans l’Aude, elle se limite à la frange littorale du département sur substrat calcaire, avec des populations en faibles effectifs. La fermeture des milieux lui est préjudiciable.

Orobanche des santolines

L'embroussaillement, ou fermeture des milieux, est un phénomène naturel. L'évolution vers la forêt en est la suite logique. Dans le pourtour méditerranéen, c'est l'incendie qui en est le régulateur normal, au profit des plantes et de la faune qui aiment les espaces ouverts. Le pastoralisme est l'autre facteur d'ouverture des milieux. Avec la disparition des troupeaux et la maîtrise des incendies (heureuse pour nos villages et maisons !), la garrigue se ferme inexorablement et disparaissent alors à grande vitesse toutes les merveilles citées plus haut.

Dans ce contexte, l’installation de nouveaux troupeaux peut être salutaire. Or celle-ci est rendue d'autant plus difficile que la Politique Agricole Commune reconnaît mal les surfaces embroussaillées et, de ce fait, la capacité des bêtes à favoriser la biodiversité et à lutter contre les incendies en limitant la ressource combustible. Le groupement d'éleveurs Empreinte, créé il y a une douzaine d'années et auquel j’appartiens, travaille activement à faire reconnaître la valeur ajoutée des troupeaux. Mais il est compliqué de se faire entendre...

Cependant, la présence d'un troupeau n'est pas bénéfique en soi. Le surpâturage est l'ennemi de la nature : trop de brebis, laissées trop longtemps au même endroit, bouleversent profondément l'écosystème, en favorisant les plantes qu'elles n'aiment pas et en détruisant des milieux très instables. Le berger doit veiller à doser la « pression de pâturage », ce qui demande expérience et attention.

Nous gagnons la montagne d'ici quelques jours. Là-haut aussi l'équilibre est fragile entre pâturage et biodiversité. Si les prairies de moyenne altitude, qui ont tendance à se refermer pour lesquelles les troupeaux sont favorables, la pelouse d'altitude, elle, se passe de pâturage. Pourtant, trop de bêtes y pâturent et détruisent une flore très spécifique. Ce n'est pas notre cas car l'espace est immense et les brebis peu nombreuses.

On le voit, rien n'est simple ! Mais la beauté du métier tient aussi dans cet équilibre de pâturage à réinventer sans cesse, au profit des milieux naturels fragiles et prolifiques.

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