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Chronique : La Bergère des Corbières #10

Quand ils partent à l'abattoir


Elle aurait dû être prof de gym, elle sera calligraphe dans le Gers, durant treize ans. Puis en 2007, Florence Robert choisit une vie au contact des animaux et de la nature. Elle devient alors bergère et crée la Ferme des Belles Garrigues à Albas, dans l’Aude. Parallèlement à son activité agricole, elle écrit. En préparation, un livre autour du sort réservé aux orangs-outans et aux forêts primaires dans le monde…




On m'a plusieurs fois interpellée au sujet de l'abattage des animaux dans le cadre de cette chronique. Voici ce que j'ai écrit à ce sujet la première fois que je suis allée à l'abattoir : 

« Les citadins, des cultivateurs, et même parfois des chasseurs, me posent toujours la même question suivie d’un aveu : — Comment faites-vous quand ils partent à l’abattoir ? Ça ne vous fait rien ? Moi, je ne pourrais pas.

Nous voici à l’abattoir, c’est la première fois. Cette fois-ci, je vais savoir ce que ça me fait. Nous tournons un moment, puis longeons des bâtiments quelconques pour déboucher dans une vaste cour fermée et grise. L’air porte en nappe basse et épaisse l’odeur que je redoutais. C’est pourtant propre. Le bouvier apparaît enfin, à peine aimable. — Mettez la voiture là. Signez là.

Les agneaux descendent prudemment, je les appelle doucement – horrible sensation de trahison. À la queue leu leu, ils disparaissent derrière une solide claie de métal. Je demande à voir. Ils vont passer la nuit entre ces quatre murs. L’abreuvoir marche, c’est heureux. Dans la stalle d’à côté, un gros veau mugit à intervalles réguliers. Le vétérinaire passera tout à l’heure vérifier leur état sanitaire. Demain matin, ils seront poussés vers cette porte, là.

La garrigue me semble bien loin, peut-être ai-je seulement rêvé. D’un monde sans béton, sans violence. De quel droit prend-on la vie d’un jeune animal aussi confiant ? En pleine santé ? Les questions se pressent, la voiture se fait étouffante, le ciel lourd. Ça cisaille et ça pince près du cœur. Heureusement que je ne conduis pas. L’autoroute, celle-là même que nous empruntions en famille lorsque j’étais enfant, celle qui me montrait des collines qui me subjuguaient, nous ramène vers les Corbières, antre de l’oubli. Le philtre cicatrisant opère à partir de Lézignan, les collines se chargent de pâturages potentiels, l’appel du troupeau se fait sentir. Vite de l’air et des brebis, un chien joyeux, du soleil et des romarins, vite des parfums enivrants et de l’action ! Ces agneaux que j'ai fait naître, sont élevés pour être mangés. Christophe le berger les compare aux fruits du verger, à la moisson qui permet de faire vivre le reste du troupeau. L’éleveur est celui qui n’y pense même plus : avant d’abattre, il faut avoir fait naître. Avant de manger, il faut avoir abattu. »

Des années plus tard, la question est cependant plus présente que jamais, et la ferme des Belles Garrigues, vouée à la préservation de la biodiversité par l'entretien des garrigues ouvertes, pourrait ne plus produire de viande et s'orienter de façon exclusive vers la production de laine mérinos et mohair. On en finirait alors avec l'abattoir et le choix douloureux des animaux destinés à être mangés. Ils seraient tous gardés pour leur laine. Mais cette conversion exige de nouvelles compétences et oblige à changer une partie du troupeau pour n'avoir que des brebis mérinos et des chèvres angora. Tout ça ne se fait pas du jour au lendemain.

Cependant, au-delà de la seule ferme des Belles Garrigues, il faut raison garder et ne pas se leurrer : si nous voulons des paysages ouverts, riches en passereaux, en fleurs des champs, il faut beaucoup de troupeaux (en bio). Et tous ne peuvent pas être destinés à la production de laine ; une partie voire une majorité devront produire du lait ou de la viande. Ce qui signifie qu'une partie des jeunes seront envoyés à l’abattoir.

Je terminerai en appuyant sur le fait qu'il existe des éleveurs pour qui la question du bien-être animal est une priorité, et nous sommes les premiers à dénoncer les conditions de vie épouvantables dans les élevage intensifs, à manger peu, voire pas de viande, à vouloir que l'abattage se passe à la ferme et non après un transport stressant et des heures d'attente à l'abattoir.

Je me rappelle une woofeuse qui, après une semaine à la ferme, n'en revenait pas que j'aime à ce point mes bêtes... Et un autre, végétarien, qui concluait que mes brebis vivaient au paradis... Entre tout et rien, nous pouvons être les artisans d'un élevage conscient et respectueux.



L'image illustrative est en licence CC0

Commentaires

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Bonjour,

Je ne comprends pas pourquoi il faut tuer les bébés...
Je ne comprends pas pourquoi il faut tuer tout simplement mais les veaux, les agneaux, les petits, des bébés, des enfants..! Est-ce vraiment nécessaire ?!!!!!

Bonjour,

Je comprends votre question et vais répondre à deux niveaux. La première contrainte à laquelle nous devons répondre, c'est l'équilibre économique de nos fermes. À titre d'exemple, entre tous les achats, les remboursements de crédit et les autres charges, j'arrive à 53000 € par an. Nous sommes subventionnés pour produire des aliments (ou de la laine), ce qui est logique, et ces subventions ne couvrent pas nos besoins complets, ce qui est logique aussi. Laine, ou lait, ou viande... une ferme est un lieu de production.

Pourquoi tuer des animaux jeunes ? Les consommateurs de viande aiment qu'elle soit tendre, charnue, un peu grasse mais pas trop. Seuls les animaux très jeunes à relativement jeunes peuvent répondre à ces critères.

Il me semble aussi que les éleveurs laitiers ne peuvent pas garder les petits mâles, que ce soit des veaux, des agneaux ... car pour que ce soit gérable, il faut des femelles et juste 1 ou 2 reproducteurs sélectionnés.
Les petits mâles doivent donc être vendus ...

Tuer des animaux sous prétexte que l' on a envie de paysages esthétiques, franchement ça me dépasse.

Bonsoir Agathe,
Je trouve votre commentaire, tout empreint d'empathie qu'il soit, d'une violence inouïe. Je connais ces éléments de langage, utilisés par les extrémistes véganes, qualifiant des agneaux de "bébés", pour provoquer un choc émotionnel radical. Cela s'appelle "atteindre le point de Godwin", qui clôt définitivement tout échange de vues sensé, et impose le hiatus "si tu n'es pas avec moi, tu es contre moi".
Florence, ne soyez pas choquée, je vous comprends et vous soutiens à 100%, comme mes amis éleveurs bio extensifs du Somail et de l'Espinouse, qui travaillent dur, aiment leurs bêtes, et contribuent à tenter de sauver notre planète.

Chère Muriel, il ne s'agit pas de l'esthétique, il s'agit de la biodiversité. La montagne a besoin de troupeaux qui paissent et qui nourrissent la terre de leurs déjections. Alors, soutenons les éleveurs en bio qui travaillent à protéger notre nature et se posent en premier la question d'un abattage humain. Merci, Florence!