Face aux géants du numérique qui menacent nos libertés, la booture nous invite à reprendre le pouvoir : un internet local, libre et frugal, au service des communs et du vivant.
Avec la « booture » : reprenons le pouvoir sur nos usages numériques
De l’Ukraine aux réseaux sociaux, des data centers aux mines de métaux rares, les GAFAM imposent un numérique extractiviste et violent, qui fragilise nos sociétés et abîme la planète. Mais une alternative existe : la “booture”. Elle est simple à installer et permet d’héberger localement des outils libres, coopératifs et souverains. Plus qu’une innovation technique, la booture est un projet politique et pédagogique : elle nous aide à réinventer un numérique démocratique, frugal et respectueux du vivant.
Les dangers des GAFAM
L’actualité nous le rappelle chaque jour : le numérique mondialisé, porté par une poignée de multinationales – Google, Meta, Microsoft, Amazon, X, Apple, Starlink... – n’offre plus de perspectives soutenables ni désirables. Ce modèle centralisé et extractiviste présente des impacts majeurs qu’ils soient écologiques, sociaux, démocratiques ou géopolitiques. Et parfois tout cela en même temps. A titre d’exemple, alors qu’un génocide est perpétré à Gaza, le procureur de la CPI (Cour pénale internationale), Karim Khan, a décidé de poursuivre en justice le commanditaire de ces massacres. Les accès de M. Khan à son compte Microsoft ont aussitôt été coupé, sur décision du gouvernement américain de Donald Trump. Source Le Monde.
Un danger pour la démocratie
On le voit, le numérique centralisé n’est pas neutre. Il modifie en profondeur les équilibres démocratiques :
- par la surveillance généralisée des personnes;
- par la désinformation et la manipulation de masse via les réseaux sociaux et des sites web;
- par l’ingérence des géants de la tech dans les processus électoraux;
- et désormais, par leur rôle actif dans des conflits armés, où les technologies numériques deviennent des armes stratégiques.
Un désastre écologique en marche
L’industrie numérique est également l’une des plus polluantes au monde. Depuis l’extraction des métaux rares pour fabriquer nos appareils, jusqu’à l’absence de filières de recyclage pour ces équipements toujours plus nombreux, l’impact environnemental est considérable. Le numérique représente aujourd’hui près de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, un chiffre en constante progression, accéléré par l’explosion de l’intelligence artificielle et des « data centers » énergivores. En France, en 2024, c’était 10 % de la consommation d’électricité. Source Ademe
Une violence sociale à l’échelle globale
Derrière nos clics, c’est aussi une véritable chaîne de production mondialisée qui repose sur l’exploitation. Des mines africaines aux usines asiatiques, en passant par les « travailleurs de la donnée » au Kenya ou ailleurs, entre 150 et 430 millions de personnes travaillent dans l’ombre de nos clouds et de nos algorithmes.
La dématérialisation des services – publics et privés – accroît aussi l’exclusion des plus fragiles. De nombreuses personnes sont empêchées d’accéder à leurs droits, tout simplement parce qu’elles ne disposent pas des outils ou des compétences nécessaires. Aujourd’hui en France, 4 millions de personnes âgées de 60 ans et plus n’utilisent jamais Internet, soit 27 % de cette tranche d’âge. 14 % des 60-70 ans sont aussi en situation d’exclusion numérique. https://www.petitsfreresdespauvres.fr/sinformer/prises-de-position/contre-lexclusion-numerique-de-4-millions-de-personnes-agees/
Et que dire de la santé mentale ? Les “réseaux sociaux” organisent la captation de notre attention. Leurs algorithmes nous enferment dans des bulles cognitives et nous éloignent les uns des autres. Les jeunes, en particulier, paient le prix fort de cette numérisation à outrance. C’est ce qu’indiquent un article de Project Reboot et le rapport de l’OMS sur les effets du numérique sur la santé mentale des adolescents.
Une critique ancienne de la société technologique
Ces ravages ne sont pas nouveaux. Dès les années 1970, des penseurs comme Ivan Illich, Jacques Ellul ou André Gorz ont analysé et dénoncé la logique de dépossession portée par la société technologique. Ils rappelaient déjà que le progrès technique, lorsqu’il échappe au contrôle des citoyens, devient un facteur d’aliénation et d’inégalités.
Des alternatives déjà existantes
Ce modèle n’est pas une fatalité. Comme dans l’agro-industrie, une alternative existe. Mais elle nécessite de reprendre la main, de s’informer, de se former, et de se doter d’outils adaptés.Depuis plus de dix ans, des communautés entières développent des alternatives : logiciels libres, auto-hébergement, serveurs partagés… Ces initiatives permettent d’ouvrir des espaces d’émancipation.
Le Mouvement Colibris, par exemple, a mis en place dès 2017 une plateforme mettant à disposition du grand public des outils numériques libres : des pads, des outils de post-its, des raccourcisseurs d’URL, une solution de création de sites webs, etc. Autre exemple marquant : le générateur de cartes participatives GogoCarto, qui a été très utilisé le 10 septembre dernier.
Ces alternatives ont toutefois leurs limites : souvent techniques et difficiles à utiliser pour le grand public, elles restent parfois centralisées et gérées par des “sachants” éloignés des usagers. Elles ne permettent pas toujours une réelle autonomie locale. C’est pour répondre à ces contraintes qu’est née la « booture ».
En 2020, avec Framasoft, Ritimo, YesWiki et YunoHost, un premier prototype de serveur web « clé en main » (CLIC) a été développé, donnant accès à des services libres et collaboratifs ainsi qu’à des contenus pédagogiques sur la transition écologique et solidaire. En 2025, ce projet a aboutit à la « booture ».
La booture : un internet libre, local et partagé
Comme on cultive un jardin, on peut cultiver un autre numérique. Un numérique qui ne nous vole ni nos données, ni notre attention. Un numérique qui nous relie, localement, et qui respecte le vivant.
La « booture » est un outils informatique, semblable à un serveur. Vous pouvez l’installer dans votre organisation, votre collectif ou votre association un peu comme une box internet. Il suffit de le brancher au courant et à internet. Puis, vous pouvez vous connecter à votre booture via internet. Sur cette booture, vous retrouverez tous les logiciels libres dont vous avez besoin pour travailler, vous organiser et militer : la suite nextcloud pour stocker vos fichiers, libreoffice pour écrire et faire des tableurs, excalidraw pour dessiner sur une tableau blanc, etc.
C’est donc un projet d’auto-hébergement numérique local, développé depuis 2021 avec le projet Clic. Il s’agit d’un équipement informatique pré-configuré qui permet à une personne, une organisation ou une communauté de retrouver de l’autonomie sur ses usages numériques.
La booture est un dispositif libre, frugal, que chacun·e peut s’approprier. Pour que nos outils redeviennent des biens communs, pas des machines à nous exploiter.
Côté technique
Vous n’êtes pas un « geek », ça ne fait rien, on vous explique quand même le détails technique, ce n’est pas si compliqué ! La booture repose sur deux logiciels libres majeurs :
- YunoHost : un système d’auto-hébergement clé en main, pour vulgariser : une sorte de système d’exploitation pour serveur.
- YesWiki : un outil collaboratif libre de création de site web minimaliste, pour documenter, organiser et créer ensemble.
Installée sur un nano-ordinateur ou sur un ordinateur réemployé, la booture donne accès à un large éventail de services, similaires à ceux proposés par les géants du web… sans leur toxicité. Stockage et partage de fichiers, édition collaborative, gestion de projets, diffusion vidéo (Peertube, alternative à Youtube), réseaux sociaux fédérés (comme Mastodon), mails, site web, VPN (pour protéger votre anonymat)… tout cela sans collecte de données ni algorithmes opaques.
Mieux encore, la booture peut fonctionner sans Internet : en local, via un simple WiFi, ou connectée au web mondial comme point d’accès sécurisé.
Une solution politique et pédagogique
Mais la booture, ce n’est pas qu’un outil technique. C’est aussi un projet politique et pédagogique. La plupart d’entre nous ignorent comment fonctionne Internet et quels pouvoirs nous cédons aux géants du numérique chaque fois que nous utilisons leurs services. La booture veut rendre cette réalité lisible et accessible, et redonner à chacun·e les moyens de choisir un numérique éthique et souverain.
Un accompagnement complet
Pour mettre en place la booture chez vous, et sortir une bonne fois pour toutes des GAFAM, Colibris propose un parcours d’accompagnement structuré autour de 4 axes :
- Sensibilisation : comprendre les enjeux du numérique, ses impacts et ses alternatives.
- Diagnostic : identifier les besoins et usages des organisations (associations, coopératives...).
- Déploiement : installer la booture, former les usager·es, accompagner la transition.
- Animation : créer des réseaux d’entraide, mutualiser les expériences, essaimer.
Une expérimentation en Biovallée
Fin 2025, une phase pilote du projet devrait être lancée dans la Drôme, sur deux territoires emblématiques de la transition écologique : le Diois et le Crestois, membres de la Biovallée. La Biovallée, référence nationale en matière de transition, est un terreau fertile pour faire grandir une alternative numérique à visage humain.
Une vision pour demain
La « booture » n’est pas un gadget. C’est un outil de souveraineté, de résilience, de justice sociale. Un levier pour reconnecter le numérique à l’intérêt général. Elle s’appuie sur la consolidation des équipes, l’animation des réseaux d’essaimage, et la mise à disposition concrète de solutions numériques respectueuses de l’humain et du vivant.
Vers un alter-numérisme joyeux
La « booture » crée un pont entre le monde des libristes (celles et ceux ayant appétence et compétence dans les logiciels libres), les citoyen·es engagé·es dans la solidarité en France et à l’international (aussi appelés « solidaristes ») et les acteurs de la transition écologique et solidaire : les « durabilistes ». Un pont qui permettra peut-être de tisser du liens entre ces trois acteurs qui gagneraient à plus se parler, comme l’a justement dit Laurent Marseault (https://www.cooperations.infini.fr/spip.php?article11428 ). Ensemble, nous pouvons bâtir un numérique désirable, coopératif, résilient.
Un numérique démocratique, partagé, frugal, local.
Bref, reprenons la main sur le numérique !
« Booturons » le monde d’après.
Commentaires
Cet article vous a donné envie de réagir ?
Laissez un commentaire !